Est-ce que la théologie, ce n’est pas en fait du pinaillage, souvent ? [Eloïse]

La théologie, comme son nom l’indique, c’est un discours sur Dieu.
Et comme personne n’a jamais vu Dieu (c’est dit en Jean 1,18 et 1Jean 4,12) il est assez compliqué d’envisager un discours 100% scientifique et objectif sur Dieu.

Pour les chrétiens protestants que nous sommes, le critère de référence, qui va permettre de trancher certains débats théologiques, c’est la Bible. Souvent elle est assez claire et radicale, comme par exemple avec le fameux aimez vos ennemis de Jésus en Matthieu 5,44 et Luc 6,27 ou 6,35. Mais parfois c’est plus complexe, parce qu’il y a des formulations imagées, ou des traductions hasardeuses pour rendre le propos initial compréhensible, ou encore des sujets sur lesquels il peut y avoir une absence de textes ou des contradictions d’un livre à l’autre qui sont difficiles à résoudre.

Le débat théologique est bon, car c’est dans la confrontation avec le texte biblique et la lecture qu’en font mes sœurs et mes frères que peut s’activer l’Esprit Saint qui va inspirer en nous une conviction théologique. Mais quand la motivation est d’abord de persuader, de briller intellectuellement, de croiser le fer avec d’autres chrétiens d’autres Eglises, alors là, ça se gâte, et effectivement, il se peut que ce ne soit plus l’Esprit de Dieu qui motive les discussion et qu’on tombe dans le pinaillage, le débat futile, la violence complaisante.

Tout est donc affaire de motivation.
Et la question restera : par quel esprit vivons-nous ces choses ?
Si c’est l’Esprit du Christ, ça se passera mieux.

Comment de grandes Eglises réformées européennes peuvent laisser dire n’importe quoi à certains de leurs pasteurs ? [Hervé]

Votre question, Hervé, n’est pas claire du tout ! De quelles « grandes Eglises », de quels pasteurs parlez-vous ? Et pour vous, qu’est-ce que « n’importe quoi ? »

Néanmoins, vous y abordez un sujet qui vous tient sans doute à coeur, celui des limites de la liberté d’expression dans l’Eglise. Je parlerai d’où je suis, pour tenter de répondre. Quand j’ai été reconnu Pasteur de l’Eglise Réformée de France, devenue il y a 10 ans l’Eglise protestante Unie, il m’a été rappelé au sujet de la déclaration de foi : « sans vous attacher à la lettre de ses formules vous proclamerez le message d’amour qu’elles expriment ».

Cette formulation laisse beaucoup de liberté aux ministres de l’EPUdF, peut-être même un peu trop de par la survalorisation du pluralisme (qui peut hélas déboucher sur le relativisme et la dissolution des convictions). Toutefois, notre Eglise trace les contours de sa fidélité à l’Evangile par ses confessions de foi (confession de foi de la Rochelle pour les Réformés, Confession d’Augsbourg pour les Luthériens, concorde de Leuenberg pour tous, sans oublier les symboles universels comme le credo), et dans une version plus courte par sa déclaration de foi (adoptée par le synode national, et pas par les seuls pasteurs, bien sûr). Si leur contenu trouve un de ses pasteurs en désaccord profond, le voilà en conflit de loyautés : loyauté envers l’Eglise qu’il sert d’une part, et loyauté vis à vis de sa conscience d’autre part.

Il faut ajouter que notre conscience personnelle a autorité, mais en tant qu’elle est éclairée par la Parole de Dieu, et donc soumise à cette seule Parole (et non pas au magistère et à la tradition de l’Eglise comme c’est le cas dans le catholicisme). Il m’arrive d’être dérangé, gêné par tel ou tel texte biblique. Et pourtant, il constitue un message inspiré par l’Esprit Saint. A moi de réformer ma façon de penser et de proclamer le plus fidèlement possible, avec l’aide de l’Esprit Saint, ce que l’auteur humain et l’Auteur divin veulent nous y dire.

Il est vital que la Parole de Dieu soit droitement, fidèlement prêchée. Je me souviens avec reconnaissance d’un conseiller presbytéral qui un jour, à la sortie du culte, est venu me voir pour contester fraternellement un passage de mon sermon. Et il n’avait pas tort ! Mais cela exige des conseillers, comme de tous les membres de l’assemblée, qu’ils se forment eux-mêmes et soient des lecteurs assidus et attentifs de la Bible. S’il y a défaillance à ce niveau, alors oui, des pasteurs pourront dire « n’importe quoi » sans se faire reprendre !

Comment la compassion peut-elle être à géométrie variable ? Cf. Israël/Palestine [Élie]

La compassion est à géométrie variable parce que le péché a invariablement corrompu le cœur des humains créés à la ressemblance de Dieu… Dès lors, je vois plusieurs raisons qui expliquent pourquoi nous sommes capables de déployer notre injustice jusque dans notre capacité à compatir. 

Premièrement, nous nous émouvons de manière inégale pour la cause des uns et des autres parce que nous sommes mal informés. Nous avons les images, les cris de détresse, la plainte de ceux qui souffrent qui montent jusqu’à nous. Alors nous prenons parti et, dès lors, nos oreilles ont du mal à s’ouvrir à la souffrance de « ceux d’en face ». Par le jeu des algorithmes et des biais médiatiques, plus nous nous informons, plus nous sommes confirmés dans notre vision… En fait, il n’est pas possible d’être en permanence bien informé, mais c’est de notre responsabilité d’en connaître le biais sur notre capacité à discerner. 

Deuxièmement, nous avons du mal à considérer la complexité des responsabilités, des torts, des culpabilités individuelles et collectives. Nous avons aussi du mal à accepter le scandale de l’innocent souffrant ou du bourreau victime. Alors nous avons des schémas simplificateurs en tête qui opèrent pour nous une classification outrancière du réel. On cherche « qui souffre le plus » et « qui est le plus coupable dans l’histoire ». Notre parti pris, nous compatissons pour les uns et souhaitons la capitulation des autres.

Troisièmement, un autre biais très important désoriente notre jugement, c’est que nous compatissons davantage pour des personnes proches de nous. Ce serait une bonne chose si ça nous mettait en action pour aider le proche prochain plutôt que pleurer vainement sur le prochain lointain pour qui on ne peut rien faire. Mais en vérité, notre égocentrisme nous pousse à nous émouvoir pour des bébés qui ressemblent aux nôtres, des populations auxquelles on peut s’identifier, des problématiques que nous pouvons comprendre. Ce biais terrible analysé en sciences humaines rejoint un effroyable constat théologique : il n’y a rien en nous qui ne soit indemne de corruption. Pas même notre compassion… 

Alors veillons sur notre âme, repentons-nous et implorons en permanence le secours de Celui qui a tant aimé le monde, tout le monde !

En fait les protestants vous avez aussi une tradition- est-ce que vous l’assumez ? [Marie-Anne]

Chère Marie-Anne.
Vous avez raison de dire que nous avons aussi une tradition. Certaines traditions concernent les habitudes de vie et divergent selon les familles d’églises et les églises locales. Ainsi, dans certaines églises, on ne chante que des chants récents, dans d’autres, que des chants anciens. Dans certaines Eglises ont s’assoit sur des bancs, d’autres sur des chaises etc. Ces traditions ressemblent à des habitudes qu’il est souvent difficile de changer tant elles sont ancrées. Ce sont des questions secondaires, en ce qu’elles concernent la forme, la manière extérieure de vivre notre foi. Il est bon d’avoir conscience qu’il s’agit là de traditions afin de pouvoir les mettre à leurs justes places quand vient le temps de faire évoluer la forme de ce que nous vivons, ou quand il s’agit de reconnaître comme frères et soeurs des personnes qui ont des habitudes différentes des nôtres.


Mais je suppose que vous désignez ici la tradition qui concerne le fond plus que la forme : Les grandes affirmations de la foi, la manière de célébrer les sacrements et de vivre l’Eglise. Ainsi, la plupart des Eglises reconnaissent des confessions de foi qui mettent cela en forme et constituent leurs traditions confessionnelles. Les pasteurs doivent adhérer à ces confessions de foi qui sont présentées comme un fondement pour la vie des Eglises. Pour les luthériens, il s’agit de la Confession d’Augsbourg. Pour les réformées, de la confession de La Rochelle.

Cette tradition, parfaitement assumée, n’a néanmoins pas le rôle qu’a la tradition de l’Eglise catholique. Cette dernière a en effet une autorité équivalente à celle des écritures quant il s’agit de normer la foi et la vie de l’Eglise. L’autorité de la tradition protestante est en revanche soumise à celle de la Bible. Cela signifie que les confessions de foi sont bâties à partir de ce que confesse la Bible qui est le critère ultime de leur validité. En théologie, on dit que la Bible est la norme « normante » alors que que les confessions de foi sont des normes « normées » (par la Bible). Il s’ensuit que les traditions et les églises qui s’en réclament peuvent être réformées, c’est à dire transformées dans le sens d’une plus grand fidélité aux Saintes Ecritures.

Pourquoi célébrer Noël tous les ans alors que ni Marc ni Jean n’évoquent cet événement comme si important que ça ? [Joël]

Pour commencer, précisons que la fête (ἑορτή en grec) de Noël n’est pas attestée dans le Nouveau Testament. Ce qui est raconté dans l’Evangile de Jésus-Christ selon Matthieu et celui selon Luc, c’est la naissance de Jésus.

Puisqu’une fête de Noël n’est pas mentionnée (dans les Actes des apôtres ou dans les lettres de Paul) il n’est bibliquement pas commandé de nous remémorer rituellement la naissance de Jésus en procédant de telle ou telle manière.

Cela étant, le peuple Juif et les chrétiens à sa suite, sont bibliquement encouragés à se remémorer la manière dont Dieu a agit dans le passé. Ainsi nous pouvons exprimer notre reconnaissance à Dieu, tenir ferme dans les tempêtes présentes de nos vies et enseigner les générations futures. Les fêtes entrent parfaitement dans ce cadre, qu’elles soient ordonnées par Dieu ou non.

Qu’est ce qui est exprimé à Noël ? Qu’est ce que cela signifie dans le cadre du plan de salut de Dieu, de la Révélation ? En quoi était-ce important pour les évangélistes Matthieu et Luc ? En quoi était-ce important pour nos ancêtres dans la foi pour en faire une fête liturgique ? En quoi cela peut être important pour mes contemporains ? Et pour moi-même ?

Lorsque j’ai répondu sincèrement à ces questions, je peux décider en tout conscience si je veux ou non fêter Noël.
Pour ma part, je suis impressionné par l’abandon par le Fils de sa pleine gloire pour vivre de façon similaire à nous : cela me permet de me sentir compris par mon maître et d’oser lui confier tout ce qui me pèse.

Pourquoi ont reçoit des cadeaux à Noël, alors que de base c’est la naissance de Jésus ? [Nahum]

Mais c’est vrai ça, pourquoi est-ce que c’est nous qui recevons un cadeau alors que finalement c’est l’anniversaire de Jésus ? Merci Nahum de me donner la possibilité de réfléchir à ça.
J’ai le sentiment que c’est parce que cette fête met au centre l’importance du cadeau justement ! Comme si on voulait que les gens aient tous un cadeau, pour justement se demander pourquoi les cadeaux sont importants. Une fois réfléchi à ça, on peut se demander quel serait le plus beau cadeau.

Le plus beau cadeau c’est l’Amour, être en Paix, dans un monde devenu Juste, pouvoir être Bienheureux, etc…
Et ça, justement, il n’y a que Jésus qui puisse nous l’apporter vraiment.

Donc, je pense que si on se donne des cadeaux à Noël c’est pour réfléchir qu’il n’y a pas de plus beau cadeau que de recevoir un Sauveur. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tous ceux qui croient en lui ne meurent plus mais qu’ils puissent être vivants, et pour toujours ! » (Jean 3,16)

Énorme, le cadeau, non ?

Pourquoi fêter plus Noël (fête de la naissance-incarnation de Jésus) que le baptême de Jésus (où il naît à son ministère- à sa destinée ? [Pierre]

Au cours de l’année nous saisissons toutes sortes d’occasions pour nous réjouir, seul, en groupe, en communauté. Chrétiens, nous souhaitons également saisir ces occasions pour exprimer à Dieu notre reconnaissance, considérant qu’il a mis en place ces événements afin de signifier sa présence et son amour pour nous.

Aux premiers siècles de notre ère, l’Eglise s’est structurée et a mis en place des fêtes pour que le peuple chrétien se réjouisse ensemble du plan de Salut de Dieu qui a été pleinement accompli dans la personne et l’oeuvre de Jésus-Christ, Fils unique de Dieu.

La plus ancienne de ces fêtes est Pâques puisque c’est le moment décisif du Salut : TOUT se joue à Pâques, du vendredi saint au dimanche de la résurrection. C’est ici la fête la plus importante pour les chrétiens.

Les autres fêtes sont apparus plus tardivement. Certaines avaient un objectif de remplacer des fêtes paiennes auquel le peuple chrétien se trouvait confronté (et dont il avait du mal à se défaire). Noël est ainsi la plus célèbre. D’autres avaient pour objectif de rythmer l’année. C’est ainsi que chaque année des chrétiens célèbrent l’Epiphanie, l’Ascension, la Pentecôte… mais aussi le baptême du Christ (le dimanche qui suit l’Epiphanie chez les catholiques romains et les luthériens). Toutes ces fêtes, en tout cas, cherchent à aider le peuple de Dieu à reconnaitre les actions du créateur dans le passé et à ainsi croire qu’il va continuer de prendre soin pour le présent et l’avenir.

En dehors de Pâques, est ce qu’il y a des fêtes plus importantes que d’autres ? Je pense qu’elles sont toutes précieuses pour découvrir l’amour de Dieu.
Est-ce que leur sens doit être redécouvert ? Certainement pour qu’elles ne deviennent pas une loi à laquelle on est soumis et par laquelle on juge les bons croyants des mauvais.
A mon avis, si une fête chrétienne (en dehors de Pâques) a peu de sens pour une communauté chrétienne malgré les enseignements de ses responsables il est préférable de la mettre de côté (qu’elle ne devienne pas une occasion de chute) et peut être qu’un jour plusieurs membres voudront la redécouvrir et l’utiliser pour se rappeler l’Amour de Dieu et annoncer à leurs contemporains la Bonne Nouvelle de Jésus.

Peut on parler de péché sans loi ? Devons-nous observer la loi alors que nous sommes sous la grâce ? [Arnaud]

C’est effectivement, comme le souligne Paul dans l’épître aux Romains, par la loi que vient la connaissance du péché (Romains 3,20 ; 5,13,20 ; 7,7ss). Puisque le péché est transgression de la loi. Même les païens qui ne connaissent pas la loi révélée par Dieu à Moïse, écrit-il, ont conscience d’une loi (du bien et du mal, par exemple) que parfois ils transgressent (Romains 2,12-16).

Quand Paul écrit que nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce, il signifie que par Jésus-Christ, nous ne tombons plus sous la condamnation de la Loi.

Mais la grâce, c’est à dire le pardon de nos péchés accordé indépendamment de notre capacité à accomplir ce que la loi de Dieu ordonne, donc à nous justifier devant Dieu par la loi, ne rend pas la loi de Dieu inutile et caduque pour notre vie ! Elle reste un don par lequel Dieu nous invite à vivre, par la puissance de l’Esprit Saint, libres de la violence, du mensonge, de la tromperie, de l’adultère, de la convoitise…et à redécouvrir ce que sont les dix commandements et leur résumé, la double-loi de l’amour de Dieu et l’amour du prochain : une promesse de liberté. C’est le chemin de la vie chrétienne, ce que Paul appelle la « sanctification ». Le thème de la « loi de l’Esprit », de la vie nouvelle du Chrétien dans et par l’Esprit Saint, est abordé à partir du ch.8 de la lettre aux Romains.

Bien que créé à l’image de Dieu, l’humain a voulu encore plus… et il a chuté. N’en reviendra-t-il pas s’il identifie et élimine la cause de son erreur ? [Abel]

La réponse est bien sûr : oui !

Mais l’enjeu derrière cette réponse, c’est : comment ?
S’il suffisait d’identifier pour éliminer, ce serait simple.
Si l’on pouvait identifier puis agir pour éliminer, ce serait pratique.

L’Écriture biblique nous dit que seule l’œuvre de Christ a pu opérer cette justification, ce retour à une situation juste. « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. » (Ephésiens 2,8-10). Autrement dit, vouloir réparer par nous mêmes, c’est encore vouloir ce mettre à la place de Dieu, faire des choses que Dieu seul peut faire…

Pourquoi certains protestants sont-ils plus libéraux et d’autres plus fondamentalistes ? [Antonin]

Les libéraux ont besoin de remettre en question les dogmes, les certitudes toutes faites, les carcans religieux… Ils ont souvent été marqués, blessés ou insupportés par l’hypocrisie religieuse, le christianisme étroit d’esprit à tendance sectaire ou les attentes déséquilibrées et manipulatrices de manifestations surnaturelles. Souvent bien sûr, même inconsciemment, c’est aussi (et surtout ?) un astucieux positionnement intellectuel pour s’auto-justifier de ne pas se soumettre à Dieu et à Sa Parole.

De l’autre côté, les fondamentalistes ont besoin de certitudes, de bases morales et spirituelles solides dans un monde largement hostile à Dieu, relativiste et inconscient de sa futilité. Leur recherche de soumission à une Parole transcendante serait un témoignage d’humilité si cette recherche ne tournait pas à la névrose paranoïaque et orgueilleuse contre le reste du monde (et des chrétiens).

Pour tout vous dire, je suis un peu libéral et un peu fondamentaliste avec des phases de ma vie où je fus plus l’un que l’autre. Je crois que l’équilibre ne peut se vivre que dans une grande discipline de lecture de la Parole, associée à une très profonde vie de prière et une foi vécue intensément dans l’action.