Pourquoi beaucoup de réformés sont par défaut zwingliens ? Alors que les confessions et liturgies réformées déboutent le point de vue zwinglien sur la Sainte-Cène. [Kany]

Je partage votre constat sur la compréhension de la Sainte-Cène par une majorité de chrétiens se disant « réformés ». Je pense d’ailleurs qu’il serait possible de l’étendre à bon nombre d’assemblées évangéliques, pour lesquelles la pratique de la Cène relève plus du symbole que de la présence réelle du Christ, puisque c’est la grande différence à souligner dans les deux approches.

J’ajoute quand même que si ce constat me paraît vrai quand on considère la conception ordinaire du sacrement, il ne se vérifie pas dans les textes théologiques qui ont été rédigés souvent dans une perspective œcuménique, dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Ceux-là témoignent plutôt chez les réformés d’une valorisation de la Sainte-Cène et de l’affirmation de la présence du Christ dans sa célébration (Thèses de Lyon, Concorde de Leuenberg). On tend à revenir à ce que confessait les Eglises françaises avec Calvin en 1559 (Confession dite de La Rochelle) où il est écrit que le Christ « nous nourrit et vivifie de la substance de son corps et de son sang ».

En réponse à votre question, je vois personnellement dans la faveur donnée à une conception très symbolique de la Cène une influence probable du libéralisme qui préfère retenir les principes et les idées (des choses immatérielles) sans trop considérer l’importance des pratiques en matière de vie spirituelle (et donc leur matérialité concrète).

Je peux aussi vous renvoyer utilement à plusieurs articles déjà présents sur ce site à ce sujet !

Les réformés ont-ils une théologie eucharistique qui diffère de celle des évangéliques ? [Kanyr]

C’est bien sûr la Bible, qui définit pour nous la sainte cène, en particulier la première épître aux Corinthiens, chapitre 10 versets 14 à 22 et chapitre 11 versets 20 à 34. L’apôtre Paul évoquait alors non pas directement la célébration mais son contexte dans le cadre d’autres repas, et les dérapages constatés.

La théologie réformée classique a lu dans ces textes l’affirmation claire qu’il se passe quelque chose de particulier lors de la cène, que la participation à ce repas est le moyen par lequel nous sommes mis en communion avec le corps et le sang de Jésus-Christ mort et ressuscité pour nous. Comme il n’est plus présent ici-bas, c’est le Saint-Esprit qui réalise cette communion, non pas ordinairement seulement, mais ici de manière particulière.

Comme le dit la Concorde entre réformés, luthériens, frères tchèques et méthodistes en Europe (§ 18, 15b et 19) :

« Dans la Cène, Jésus-Christ le ressuscité se donne lui-même en son corps et son sang, livrés à la mort pour tous, par la promesse de sa parole, avec le pain et le vin. De la sorte, il se donne lui-même sans restriction à tous ceux qui reçoivent le pain et le vin ; la foi reçoit la cène pour le salut, l’incrédulité la reçoit pour le jugement.

Il nous accorde ainsi le pardon des péchés et nous libère pour une vie nouvelle dans la foi. Il renouvelle notre assurance d’être membres de son corps. Il nous fortifie pour le service des hommes.

Nous ne saurions dissocier la communion avec Jésus-Christ en son corps et en son sang de l’acte de manger et de boire. Toute considération du mode de présence du Christ dans la cène qui serait détachée de cet acte risque d’obscurcir le sens de la cène. »

Il me semble que, pour la plupart des Églises évangéliques, la cène est d’abord un mémorial, accompli selon l’ordre du Christ. Mais l’aspect de l’action de l’Esprit à cette occasion n’est pas souligné. Comme pour le baptême d’ailleurs, la théologie évangélique privilégie la foi, l’action humaine, chrétienne, dans la célébration du sacrement, quand les réformés privilégient l’action divine en vue de la foi. C’est une différence certaine de point de vue. Mais les uns comme les autres obéissent à l’ordre du Christ de célébrer ce repas, et les uns et les autres le font dignement, comme y exhortait Paul.

En fidélité au Lévitique- ne devrions nous pas nous aussi nous abstenir de relations sexuelles la veille de la Cène ? [André]

En tant que chrétiens, notre fidélité est d’abord placée en Dieu, manifesté en Jésus-Christ. Notre rapport à la loi n’est plus l’enjeu de notre fidélité. Nous n’avons pas à nous remettre sous son joug, car ce n’est plus à nous d’accomplir la loi, Jésus l’a fait. Nous avons à mettre notre foi en lui, qui n’a pas aboli la loi. De fait, la loi n’est pas abrogée et sa pertinence n’est pas effacée par la grâce de Dieu manifestée en Jésus-Christ. Ce que Dieu appelle mal dans la Bible ne saurait être appelée bien par nous, au prétexte que nous ne sommes plus sous la loi mais sous la grâce.

Cela étant dit, si vous et votre épouse estimez que l’abstinence la veille de la Cène est un bon moyen pour disposer vos esprits à recevoir plus pleinement la communion, je ne vois pas pourquoi il faudrait vous l’interdire. C’est la même chose avec la confession de vos péchés à un membre de la communauté, ou la réconciliation avec une personne de l’Église avec qui vous seriez en conflit, avant de partager la Cène avec elle.

Quelle est la différence entre la vision de Calvin et Zwingli sur la Sainte Cène ? Sur cette question les attestants sont de quel bord ? [Kny]

Merci Kny de nous inviter à revoir nos classiques ! En effet, la question de la Cène a été centrale au 16e siècle, non seulement entre catholiques et protestants, mais au sein même de la Réforme. Luther confessait la présence réelle du Christ au moment où les paroles de Jésus sont rappelées (lors d’un débat avec Zwingli, il aurait commencé par écrire sur la table, dans la version latine : « ceci est mon corps ». Bonjour l’ambiance !). Pour Zwingli, Christ est au ciel depuis son ascension, il n’est plus sur la terre, donc le pain et la coupe sont des symboles, un mémorial. Il faut donc comprendre: « ceci représente mon corps ». Calvin, auteur d’un Petit Traité sur la Sainte-Cène, aurait peut-être pu réconcilier les deux positions. Pour résumer la sienne : « ceci présente mon corps ». Ce n’est que du pain, ce n’est que du vin, mais avec ces signes, et par l’Esprit Saint, le Seigneur nous atteste que nous avons réellement communication à son corps, son sang, en un mot à sa vie.
Jésus lui-même n’aurait -peut-être- pas compris grand chose aux débats philosophiques concernant la « substance » véritable des éléments de la Cène. Quand Jésus déclare « ceci est mon corps », ceci renvoie d’abord à la fraction du pain, plus qu’au pain lui-même (c’est à ce geste de la fraction du pain que les disciples d’Emmaüs l’ont reconnu, Luc 24,35). Puisqu’il ajoute « faites ceci en mémoire de moi. Il nous dit : mon corps, ma vie, c’est cela : un don partagé, offert pour vous, pour la multitude.
Quant à vous dire de quel bord sont les Attestants sur cette question… je n’en sais rien ! Peut-être de bords divers. L’essentiel est que nous discernions que le Seigneur est présent lorsqu’il nous invite à sa table, et qu’il a donné son corps et son sang pour nous.

Peut-on prendre la Sainte Cène seuls chez soi ? Ou bien doit on la prendre en communion comme Jésus ? [Alpi]

Le fait que vous mettiez un « s » à « seuls » montre que vous pensez quand même partager la cène à plusieurs et pas « tout seul ». S’il s’agit de prendre la cène tout seul dans son coin, je dis tout de suite non. La nous sommes en complète contradiction avec la notion de communion. Mais si nous sommes quelques membres d’une même famille et âge de partager la sainte cène, alors nous ne faisons rien d’autre que ce que faisaient les premiers chrétiens : « Chaque jour, avec persévérance, ils se retrouvaient d’un commun accord au temple; ils rompaient le pain dans les maisons et ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur. » (Actes 2. 46)

Que veut-on dire par « se préparer pour la sainte-cène » ? [Annie]

Peut-être l’expression s’inspire-t-elle d’une recommandation de l’apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens (11,28s) : « que chacun s’éprouve soi-même, avant de manger ce pain et de boire cette coupe; car celui qui mange et boit sans discerner le corps et le sang du Seigneur mange et boit sa propre condamnation (trad. TOB) ».

Chez certains chrétiens, cet avertissement est compris comme une interdiction de communier faite à quiconque se trouverait en situation de faute morale, par exemple, et donc se serait rendu indigne d’avoir part au repas du Seigneur. Mais alors, qui en serait « digne » ? Il n’y a autour de la table du Seigneur que des pécheurs pardonnés.

Le v.21 montre que Paul pense à autre chose : aux repas communautaires au cours desquels était célébrée la Cène, les membres les plus riches de l’Eglise de Corinthe mangeaient sans s’inquiéter des plus pauvres, qui n’avaient pas grand chose. Ce qui allait à l’encontre du sens même de ces repas appelés « agapes », et bien entendu de la Cène, puisque le partage du pain et de la coupe atteste l’unité et la fraternité de tous les participants, en Christ. D’autre part, certains participants étaient même ivres (v.21) et ne savaient donc pas ce qu’ils faisaient !

Résumons : se préparer pour la Cène, c’est tout simplement se rappeler et croire ce qu’elle nous atteste et ce que le Saint-Esprit nous y communique, le don par le Christ de lui-même, pour nous tous. C’est aussi en tirer les conséquences dans mes relations avec les autres membres de l’Eglise : comment pourrait-on se reconnaître frères et soeurs autour de la même table, membres du même corps, sans s’aimer ?

La mise en garde des conséquences de prendre la cène (1 Cor 11) s’adresse à des chrétiens. Pourquoi un non chrétien serait-il privé de prendre la cène si déjà il est au culte ? [Pascal]

La cène n’est pas seulement un repas partagé en mémoire de Jésus, ou parce qu’il nous a dit de le faire. Par ce repas, que l’on appelle aussi communion, Jésus-Christ manifeste mystérieusement sa présence à tous ceux qui croient en lui et reconnaissent qu’il est là, dans le pain et le vin partagé. Je ne me sens pas de demander à un non chrétien qui vient au culte de participer à un repas dont il ne partagerait pas le sens. Cela me semblerait être une contrainte de sa conscience plutôt qu’autre chose.

Peut-on prendre la Sainte-Cène chez soi (seul ou en famille) si l’on considère que le pasteur n’a pas d’autorité particulière pour la donner- et que l’on ne reconnaît pas la transsubstantiation ? [Julien]

La Cène n’est pas un simple repas commémoratif (comme le rallumage de la flamme au pied du tombeau du soldat inconnu). C’est aussi un acte par lequel, en communauté, nous accueillons la réalité vivante du Christ dans l’assemblée réunie et ouverte à sa présence par l’action du Saint-Esprit. C’est donc un acte communautaire vital pour l’Église. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas nécessaire qu’une personne particulière préside ce moment qu’on peut le vivre tout seul ! Par contre, célébrer une Sainte Cène chez soi, avec sa famille ou ses proches, ou encore aller la partager avec des malades qui ne peuvent pas se rendre au culte me semble être bien sûr un acte communautaire tout à fait possible et même utile dans bien des circonstances.

Un non-pasteur (laïc) peut-il présider le Cène- dans un contexte tel qu’un petit groupe tel qu’une Eglise de maison ? [Laureline]

Je vous répondrai brièvement :

  • Lorsque je lis la Bible (Matthieu 26, Marc 14, Luc 22, 1 Corinthiens 11), je ne trouve rien dans la bouche de Jésus ou de Paul, à propos de la Cène, qui indiquerait que seuls certains individus pourraient la présider. En fait je ne trouve même rien qui parle de présidence de la Cène (par contre je trouve chez Paul que la participation à la Cène demande au préalable un examen de conscience). Donc, pour moi, la réponse à votre question ne dépend pas de la Bible et sera donc éphémère.
  • La présidence de la Cène fait donc partie des règles propres à chacune des Eglises. Il se trouve que dans les églises catholiques, orthodoxes et la majorité des églises protestantes du monde, la présidence de la Cène est lié à un « ministère ordonné ». Le document de dialogue entre Eglises chrétiennes le plus célèbre à ce sujet est « Baptême, Eucharistie, Ministère » de Foi et Constitution et datant de 1982. Je vous encourage à lire les paragraphes 29, 30 et 31 de la partie sur l’Eucharistie pour approfondir votre réflexion.

Peut-on croire en la Trinité- en l’Esprit-Saint- et ne pas croire à la présence réelle du corps et du sang du Christ dans la Cène- comme Zwingli ? [Elan]

La position de Zwingli est respectable (et puisque Zwingli a pensé comme ça, je ne peux que répondre « oui » à la question que vous posez, de la façon dont vous la posez), mais ce n’est pas la mienne.

Je crois que le Christ est réellement présent au cours de la Cène, et pas que cet acte est un simple mémorial (auquel cas, il faudrait, au mieux, ne la faire qu’une fois par an, le jeudi saint, pour vraiment commémorer, comme le président de la République avec le tombeau du soldat inconnu le 8 mai et le 11 novembre). Je ne suis pas un ancien combattant (avec tout le respect que je leur dois) de la foi. Le combat de ma foi et de ma vie pour Christ est toujours actuel et intense, et j’ai bien besoin de sa grâce signifiée réellement dans la Cène, pour reprendre force et courage. C’est bien par son Esprit qu’il se rend présent, mais sa présence est pour moi bien réelle.