« Tout être humain sur terre a-t-il une âme ? Â quel moment apparaît-elle chez l’humain ? Et si elle apparaît durant la métamorphose de l’enfant dans le corps de la maman pourquoi ne ressent-elle rien ? » [Michèle]

La question que vous posez, Michèle, me donne l’impression que pour vous, l’âme, « apparaîtrait », voire « entrerait » dans le corps, à un moment donné. Il me semble que la Bible nous propose une autre façon de voir l’être humain. La Bible parle de la « chair », c’est-à-dire de l’ensemble formé par le corps et l’âme, pour désigner l’être humain dans sa globalité, mais séparé de Dieu. Une troisième « composante », l’esprit rattache l’être humain à son Créateur. Cet attachement devient particulièrement fort avec le baptême, mais l’esprit de Dieu a pu habiter des personnes avant même que le baptême n’ait été institué (Moïse, David, Élie…) Quoi qu’il en soit, je crois que cela veut dire que oui, tout être humain à une âme, et qu’elle se développe, comme le corps, au fur et à mesure de la croissance de l’enfant depuis sa conception et même encore après sa naissance.

Je croyais en l’immortalité de l’âme. Est ce que dans la tombe, on reste corps et esprit ou est ce que notre esprit est appelé à Dieu ? [Valérie]

Le débat sur « l’immortalité de l’âme » est très ancien. Pour certains, quand on est mort, on l’est totalement, en attendant la Résurrection. Toutefois, il me semble que l’enseignement de l’Ancien et du Nouveau Testament concordent sur ce qu’il advient de nous dans la mort. « Le corps de l’homme s’en retourne à la terre d’où il a été tiré et le souffle de vie (l’esprit) retourne à Dieu qui l’a donné », Ecclésiaste 12,7. Jésus sur la croix déclare remettre son esprit entre les mains du Père (Luc 23,46), juste avant d’expirer.

L’espérance chrétienne sur notre avenir en Dieu s’articule en deux « temps », si l’on peut dire. Tout d’abord, notre esprit demeure auprès du Seigneur dès notre mort. Comme l’atteste par exemple la promesse de Jésus au malfaiteur sur la croix : « aujourd’hui tu seras avec moi au paradis »-Luc 23,43. On peut citer aussi Paul désirant s’en aller et être avec le Christ, en Philippiens 1,21-23. Enfin, Jésus évoque à ses disciples la « demeure » qu’il va leur préparer auprès du Père (Jean 14,2). Mais le mot employé en grec, monè, désigne un séjour provisoire, une halte. Car notre espérance ultime, c’est la Résurrection des morts, et une existence nouvelle dans une Création renouvelée, où le mal et la mort ne seront plus (Voir Apocalypse 21,4).

Si l’immortalité de l’âme n’est pas biblique, expliquez-moi Luc 12,4-5 et Matt 10,28. [Aimé]

Nous avons mentionné plus bas les deux versets que vous évoquez*.
Il faut bien comprendre que le vocabulaire biblique n’est pas homogène pour parler de l’âme et de l’esprit, déjà suivant qu’un texte est dans le premier ou le nouveau testament. A l’intérieur de la bible hébraïque il y a plusieurs mots pour évoquer notre vitalité, notre vie, notre âme, etc.

Ceux qui affirment que l’immortalité de l’âme n’est pas biblique se basent sur la conception tripartite de l’humain, telle qu’évoquée dans la finale de la première épître aux Thessaloniciens : corps, âme et esprit. Jésus rend l’esprit quand il meurt. Etienne aussi. C’est cette part du souffle de Dieu qui est en nous et qui n’appartient qu’à Dieu. Ce n’est pas la même chose que notre âme, notre psyché en grec, qui est liée à notre vitalité, nos pensées, nos désirs, etc. Refuser la mortalité de l’âme, c’est une façon de réduire la résurrection des morts, qui sera, selon les principes de la théologie chrétienne, une résurrection de la chair, c’est-à-dire de l’âme et du corps, et pas seulement une résurrection de l’esprit. C’est bien parce que le corps et l’âme meurent qu’il faut qu’ils ressuscitent.

La réintégration de l’immortalité de l’âme dans la théologie chrétienne est une tentation d’intégrer la philosophie grecque dans la conception biblique. C’est quelque chose que les protestants et les évangéliques refusent. On lira volontiers cette recension de l’excellent livre du pasteur Oscar Cullmann : Immortalité de l’âme ou résurrection des morts.

* « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus. Je vous montrerai qui vous devez craindre. Craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne ; oui, je vous le dis, c’est lui que vous devez craindre. » (Luc 12,4-5)

« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne. » (Matt 10,28)

Est-ce que les âmes des morts nous observent (Hébreux 12-1- Apocalypse 6-9-10- Luc 16-19-31) ? [Laureline]

Reprenons les citations bibliques que vous évoquez :

Hébreux 12.1 : « Nous donc aussi, puisque nous sommes entourés d’une si grande nuée de témoins, rejetons tout fardeau et le péché qui nous enveloppe si facilement, et courons avec persévérance l’épreuve qui nous est proposée. » La nuée de témoins dont parle l’auteur de la lettre aux Hébreux ne m’a jamais semblé être l’ensemble des âmes de personnes évoquées dans le chapitre 11 (Abel, Noé, Abraham…) qui nous observeraient, mais bien plutôt leur exemple, leur témoignage ,qui doit et peut nous encourager sur le chemin de notre foi.

L’apocalypse est une vision que Jean a eu et qu’il a mise par écrit. Il y a beaucoup de choses dans ce texte que je ne prends pas « pour argent comptant » (ainsi je ne pense pas que quand Jésus reviendra dans sa gloire, il ressemblera à un agneau égorgé). Quand Jean écrit : « Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été mis à mort à cause de la parole de Dieu et à cause du témoignage qu’ils avaient rendu » je pense qu’il tente de traduire par des mots une expérience de vision, qui ne doit pas nécessairement être comprise comme une vérité dogmatique.

Enfin, Luc 16. 19-31 est une parabole que Jésus emploie pour souligner l’importance du don et de l’action en faveur des démunis. Elle décrit peut-être la façon dont les choses se passent après la mort, mais je ne suis pas sûrs de m’accorder avec toutes les représentations de l’enfer et du paradis que l’on a fait découler de cette seule histoire. La question que vous posez est un problème important, pour lequel je n’ai pas une réponse tranchée. Voilà où j’en suis pour ma part :

Quand nous mourrons, tout ce que la Bible appelle notre « chair » (corps et âme) est détruit. C’est l’esprit que Dieu a envoyé en nous pour nous rendre vivant qui revient à lui et c’est par l’action de son esprit que nous reviendront à la vie, créés nouveaux, selon la promesse de la résurrection en Jésus-Christ.. (Genèse 2. 7 ; Psaume 104. 29-30)

Les mauvais esprits ne sont-ils pas ce qu’aujourd’hui on appelle les maladies mentales ? [Daniel]

Les mauvais esprits sont des réalités spirituelles.
Les maladies mentales sont des réalités psychologiques.
Les premiers interagissent donc au niveau spirituel de l’humain (avec des retombées sur le corps et sur la psyché), les deuxièmes interviennent au niveau de la psyché (l’âme, du latin anima).

Le fait de qualifier telle ou telle pathologie de maladie mentale ou de démonisation par un mauvais esprit est quelque chose qui dépasse de loin le fait scientifique, c’est éminemment culturel et daté. Beaucoup de comportements jugés comme étant le fait d’un esprit mauvais à l’époque des récits bibliques pourraient être requalifiés comme des maladies de la psyché aujourd’hui. Mais a contrario, beaucoup de pathologies évaluées à la hâte comme psychiatriques devraient, dans notre société scientiste, être révisées pour y constater une action externe (« démon ») plutôt qu’interne (pulsion) à l’humain.

Jean 19,30 : « Jésus rendit l’esprit ». Quelle différence avec l’expression « rendre l’âme » ? [Joël]

L’expression « rendre l’âme » est rare dans la Bible (Genèse 35,18), « rendre l’esprit » également. Que se passe-t-il quand on meurt ? Dans la manière biblique et hébraïque de dire les choses, on dit que l’âme périt, ou qu’elle descend au séjour des morts, alors que le corps a disparu. C’est que l’esprit ne souffle plus, s’en est allé. L’expression « rendre l’esprit » semble donc plus conforme à cette manière-là de dire les choses : le souffle donné par Dieu à toute âme, toute vie (Psaume 104,29-30), s’en retourne à lui.

Dans l’expression utilisée pour Jésus, il y a aussi un autre sens : lui qui vivait totalement de l’Esprit de Dieu, il rend cet Esprit (qui est une personne) disponible pour d’autres, pour ses disciples (Jean 14 / 16-17, 28). « Rendre l’Esprit » à son Père, c’est dire ultimement sa confiance. Ressuscité, il est en communion parfaite avec le Père et avec cet Esprit. « C’est pourquoi il est écrit : Le premier homme, Adam, devint une âme vivante. Le dernier Adam est devenu un esprit vivifiant. » (1 Corinthiens 15,45)

Lors d’un décès, peut-on prier en remettant l’esprit du défunt entre les mains de Dieu (puisque le corps retourne à la terre et l’esprit à Dieu) ? [JoonS]

L’esprit, c’est le souffle qui fait respirer, qui fait vivre la personne. Ce n’est pas la personne. La personne est à la fois corps (c’est en tant que corps qu’on est en relation avec soi et avec les autres, Dieu y compris), âme (c’est la personne elle-même en ce qu’elle a d’irréductible) et esprit (le souffle, donc). La mort désigne la dislocation de ces manières de considérer la personne : le corps n’est plus corps mais cadavre, l’âme n’est plus, l’esprit « retourne à Dieu ».

La promesse que nous saisissons par la foi, c’est que notre identité (notre personne) d’enfant de Dieu est vouée à cause de Christ non pas à la mort, mais à la résurrection. Si nous pouvons déjà éprouver celle-ci dans notre vie présente, elle remplira totalement notre vie future auprès du Père. Mais, bien sûr, le mot « future » est une image : Dieu n’est pas lié à l’espace ni au temps ! La certitude, c’est que nous serons donc à nouveau, par l’action libre et souveraine de Dieu, corps, âme et esprit, dans une nouvelle et autre dimension d’existence. La compréhension de ce que ce sera ne nous est pas atteignable sinon justement par des images (cf. 1 Corinthiens 15 / 35-50).

La prière pour « l’esprit du défunt » n’a donc pas de sens. Si l’esprit retourne à Dieu, c’est déjà fait : pourquoi le lui remettre ? C’est le mourant (ou pas mourant, d’ailleurs) qui peut adresser cette prière pour lui-même, comme Jésus l’a fait (Luc 23 / 46 citant le Ps. 31 / 6), et on peut l’y assister en priant de même pour le mourant… avant sa mort ! C’est une prière d’espérance en la résurrection, c’est se confier soi-même ou confier l’autre à l’amour du Père.

Dans ce sens, la prière pour les défunts a reçu un accueil variable dans les différentes traditions protestantes : les luthériens la pratiquent, les réformés non. Il n’y en a pas d’attestation biblique. Lorsqu’elle a lieu, elle manifeste notre espérance de la résurrection, de la puissance de Dieu plus forte que la mort. Mais le temps et le lieu de cette résurrection nous sont inconnaissables : ne pensons pas que Dieu va exaucer cette prière un certain jour plutôt qu’un autre. C’est, précisément, « entre ses mains » ! La prière lui dit notre confiance en lui.

Au regard des textes bibliques, quelle est la différence fondamentale entre l’âme et l’esprit ? [Nath]

La différence entre âme et esprit dans la Bible. Question très complexe et avec plein de conséquences pratiques.

D’abord parce que la Bible est écrite sur 1300 ans et que donc les représentations de ce qu’est l’humain ont énormément varié entre temps. Donc il n’y a pas une seul anthropologie biblique mais plusieurs ! Certains textes sont manifestement plutôt bipartites : ils considèrent que l’homme est corps et souffle (âme et/ou esprit en un seul bloc), et d’autres tripartites (corps, âme, esprit).

Ensuite les termes d’âme et esprit sont plus tirés des représentations gréco-romaines que de la représentation sémitique et hébraïque. En hébreu il y a de nombreux mots pour décrire le souffle, la vitalité, l’âme, l’esprit, tous ces éléments immatériels de l’humain. Et on ne peut pas trancher pour plusieurs si ce serait plutôt âme ou plutôt esprit quand on le traduit en grec.

Après ça, en français, c’est très compliqué parce que :
– dans l’imaginaire post-chrétien les gens pensent que l’âme c’est un truc religieux (et donc spirituel…) alors que l’âme en latin c’est l’anima, donc ce qui est plutôt biologique, intellectuel, affectif, émotionnel. Donc l’inverse. L’anima grecque est la psychè (et donc le psychisme). La « cure d’âme » (curo-anima) a pour parfait synonyme la « psychothérapie » (psychè-therapeuw).
– quand on parle d’esprit, on pense souvent à l’intelligence (faire un mot d’esprit). Mais ça c’est l’esprit qui vient du mot grec noos (la raison, la pensée), tandis qu’il y a un autre mot pour dire esprit dans le Nouveau Testament qui est le mot pneuma (souffle spirituel posé par Dieu dans l’Adam).
Donc le français rajoute un niveau de complexité.

Pour ma part, je pense que la strate de représentation qui avait cours à l’époque de Jésus est celle qui doit intéresser particulièrement un chrétien, car elle est à la charnière entre nos deux racines : sémitique (hébraïque) et héllénistique (grecque). Et que la théologie chrétienne, très influencée par celle de l’apôtre Paul, est une tentative de faire coïncider les incompressibles de ces deux mondes de pensée.

Enfin, c’est surtout une préoccupation pastorale qui me préoccupe. Choisir le tripartisme (corps, âme, esprit), c’est reconnaître qu’il y a des phénomènes psychiques qui sont très différents de phénomènes spirituels, et réciproquement. Que ces deux zones influent l’une sur l’autre mais qu’elles sont distinctes et que les confondre n’aide pas du tout dans la thérapeutique chrétienne qui cherche la guérison au nom de Jésus. C’est donc un principe de théologie pratique qui me fait choisir, dans un panel large de possibles à l’intérieur du corpus biblique, une de ces représentations de l’humain (de l’époque paulinienne), parce qu’elle est performative, elle est opératoire pour la libération de nos frères et sœurs.

« Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même tout entiers, et que tout votre être, l’esprit, l’âme et le corps, soit conservé irrépréhensible, lors de l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ ! » – 1Thessaloniciens 5,23

Que devient notre âme après notre mort ? [JLuc]

Dans certaines conceptions grecques, dont nous sommes culturellement les héritiers, l’âme est une réalité immortelle, qui est un temps prisonnière d’un corps et qui en est libérée à la mort, soit pour toujours, soit pour être à nouveau enfermée dans un autre corps.

Il faut bien dire que cette conception n’est pas biblique, même si la Bible en utilise parfois les mots. Je ne peux donc pas vous dire où va une telle âme après la mort du corps…

Pour la Bible, tous les êtres justement dit « animés » sont donc des « âmes vivantes » jusqu’à leur mort. Après celle-ci, il n’y a donc plus rien. Ou pour le dire de manière plus imagée, comme fait la Bible, les morts sont au « shéol » ou aux « enfers » qui est un « non lieu », une manière de dire l’inexistence. Dans cette manière d’exprimer ce qu’est une vie, le corps, quant à lui, est ce qui nous met en relation, et il disparaît à la mort. Vivants, nous sommes donc à la fois corps et âme (et non pas : nous avons un corps et une âme). Il n’y a pas d’après la mort.

La Bonne nouvelle, c’est que Jésus a vaincu la mort. Ce que la Bible exprime par le mot de résurrection, c’est-à-dire de réveil, de relèvement d’entre les morts. Ce n’est pas un débouché naturel, c’est un cadeau de Dieu, en Christ, qui nous est promis dans la foi. La résurrection des corps, la vie éternelle de l’âme, c’est dire que nous, à la fois les mêmes et différents car libres du péché qui nous avait atrophiés, nous vivrons éternellement auprès de Dieu notre Père, unis à son Fils comme nous le sommes déjà.

Or Dieu n’est pas lié au temps et à l’espace. Ceux qui vivent en lui ne sont ou ne seront donc pas non plus liés à un lieu ou à un temps. Le lieu et le temps de « l’âme » (c’est-à-dire de nous) après la mort, c’est : en Dieu, dans sa communion, à sa table (image biblique), dans son règne (autre image biblique), au paradis (image utilisée aussi par la Bible).