Il n’est pas sûr que l’attachement que nous portons à tel ou tel cantique soit lié à son contenu théologique, encore moins au fait que ce contenu soit doctrinalement suspect. Mais parce que sa mélodie nous berce depuis notre jeunesse, réveille des souvenirs, parce qu’il crée en nous, comme tout ce qui atteint nos sens, une émotion d’ordre esthétique, nous aimons l’entonner. Un chant, une musique ne nous rejoint pas seulement au niveau du cortex, siège de la pensée raisonnante, mais aussi et d’abord au niveau de notre sensibilité profonde ! Et ce n’est pas un mal en soi. Le Psaume 150 nous invite à louer Dieu et à le chanter avec tous les instruments possibles ; le chant, la musique rendent gloire à Dieu dans la grandeur, et la beauté de sa création, reflets de sa propre beauté, de sa propre grandeur… Et en concluant « que tout ce qui respire loue le Seigneur », le psalmiste rappelle que la louange n’est pas seulement cérébrale.
Voilà pourquoi nous pouvons entonner sans sourciller des contre-vérités bibliques, inscrites noir sur blanc dans des recueils aussi honorables qu’Arc-en-Ciel, Alléluia !, ou Jeunesse en Mission qui nous feraient réagir si elles étaient formulées dans un discours. Un chant de louange à Jésus-Christ prétend lui « apporter la couronne », tout en reconnaissant, heureusement, qu’il l’a conquise lui-même sur la croix… La Cévenole, fameux cantique de Ruben Saillens par ailleurs fort édifiant, commence ainsi : « Salut montagnes bien-aimées, pays sacré de nos aïeux »… et semble oublier que rien n’est sacré en dehors de Dieu lui-même.
C’est d’autant plus gênant que les paroles d’un chant, voire une mélodie, peuvent avoir, précisément de par l’émotion que la musique suscite, beaucoup plus d’impact sur notre théologie, sur notre conception de la foi et de la vie chrétienne qu’un précis de doctrine ou un sermon même percutant. Le philosophe athée et nihiliste Cioran, lui-même, reconnaissait que la musique de Jean-Sébastien Bach le faisait douter de son athéisme !
Alors oui, peut-être, serait-il bon de modifier les paroles de certains cantiques, voire de les éviter si ce n’est pas possible pour des raisons de rythme ou de rime. Pasteur en terre cévenole, j’ai osé demander à l’assemblée de chanter le cantique de Ruben Saillens en remplaçant « sacré » par « chéri ». Je ne me suis pas fait lyncher …