Comment se fait-il que le protestantisme n’ait jamais significativement « décollé » en France ? [Ruth]

Il est vrai qu’après le 16e siècle, le grand bouleversement spirituel mais aussi politique et social qu’a été la Réforme a connu un  développement et un enracinement dans bien des pays d’Europe, qu’on ne retrouve pas chez nous.  Les populations de Suisse, d’Allemagne, des Pays-Bas, d’Angleterre, des pays Scandinaves, de Hongrie, comprennent une proportion de protestants bien plus importante qu’en France.

On peut donner à ce fait des explications principalement historiques. Les débats et conflits confessionnels au sein de la chrétienté ont pris en France une tournure politique, avec les guerres de religion qui ont ensanglanté la dernière moitié du 16e siècle, jusqu’au début du 17e. Dans la collection éditée à partir de 1959 chez Gallimard, Les 30 journées qui ont fait la France, l’historien Philippe Erlanger a signé une monographie (la 12e dans la collection) sur  le massacre de la Saint-Barthélémy à Paris en 1572. Avec ses nombreuses répliques en province, il a décapité les élites protestante, et tout comme la conversion  d’Henri de Navarre, futur Henri IV, au catholicisme, durablement affaibli le « parti protestant ».

S’ensuivirent les persécutions de la fin du 17e jusqu’à la révolution, qui virent les protestants émigrer par dizaines de milliers. Enfin, les philosophes des lumières, et leur rationalisme ont profondément marqué beaucoup de théologiens et pasteurs protestants à partir du 18e siècle. L’annonce du Salut en Jésus-Christ a été délaissée pour la propagation d’idées morales et philosophiques. Ce qui a encore contribué à endormir et affaiblir les Eglises…

Toutefois le 19e siècle a connu des réveils spirituels qui ont empêché leur dilution. Et d’autre part des idées chères aux  protestants (par exemple, la liberté de conscience contre la mainmise du pouvoir clérical sur l’éducation et les moeurs, la séparation de l’Eglise et du pouvoir politique, la démocratie, l’accès de tous à l’instruction, etc) ont fini par triompher dans notre République, indépendamment du caractère minoritaire du protestantisme.  Ainsi d’ailleurs qu’un certain individualisme protestant, qui n’a pas que des avantages, comme on le voit avec l’éparpillement des dénominations dans les Eglises issues de la Réforme !

Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous n’avons pas à nous inquiéter de notre faible nombre, et encore moins à nous soucier de l’avenir de nos dénominations protestantes. Un seul souci doit nous animer : l’annonce de la Bonne nouvelle de Jésus-Christ, notamment dans notre pays largement sécularisé. Souci que portent aussi nos frères et soeurs des Eglises catholique romaine, orthodoxe, etc. On est d’abord chrétien avant que d’être protestant ! Et manifester notre unité en Christ au-delà de nos différences confessionnelles est un aspect incontournable du témoignage authentique.

Matthieu 22:37-40. Le message du Christ semble entièrement condensé ici. Pourquoi catholiques ou protestants ne sont-t-ils pas plus proches de ce message ? [Clément]

Le double commandement d’amour du Seigneur et du prochain dans le passage que vous citez, c’est effectivement le point central, le résumé de ce que Dieu attend de nous, sinon de tout l’Evangile. L’Evangile, en effet, c’est aussi la bonne nouvelle de l’amour de Dieu pour le monde manifesté en Jésus-Christ !

Je ne sais pas trop, Clément, pourquoi c’est à la fois aux catholiques et aux protestants que vous reprochez de le négliger. Peut-être parce que leurs divisions, qui ont même tourné à la guerre civile en France au XVIe siècle, bafouaient ouvertement ce témoignage ? Cela vérifie hélas le fait qu’entre la volonté du Seigneur pour nos vies et la façon dont nous en tenons compte, il y a un fossé bien large. Pécheurs nous sommes, pécheurs nous restons, et c’est Dieu qui jugera en dernier. Mais l’exigence demeure. Et il faut quand même reconnaître que depuis maintenant un bon siècle, les chrétiens de différentes confessions (n’oublions pas ceux d’Orient) apprennent à se comprendre et à s’aimer, à dialoguer respectueusement. Cela s’appelle l’oecuménisme. Il est né en contexte missionnaire. Car cette unité des chrétiens malgré leur diversité est une condition essentielle pour que notre témoignage rendu à Jésus-Christ soit crédible !