Tu ne convoiteras point

Dans la bible :
Genèse 3:6-8
Matthieu 4:1-11 et 7:24-27
Exode 20, 17 : « Tu ne convoiteras pas » ; ou encore :
« Tu n’auras pas de visées sur la maison de ton prochain, ni sur la femme de ton prochain, ni sur son serviteur, sa servante, son bœuf ou son âne, ni sur rien qui appartienne à ton prochain. » (TOB)

Rouen, le 14 septembre 2003 :
La version du décalogue dans le Deutéronome (5:21) fait passer en premier et comme premier objectif de la convoitise, la femme elle-même.
Tu ne convoiteras pas : comme l’exprime un commentateur (G. Auzou) il s’agit d’affirmer la liberté du cœur retrouvée.

Le début et la fin !
Ce qui est placé au début dans une lettre, un écrit, un discours, c’est en général très important. Il s’agit de capter l’attention, d’exposer une situation qui sera ensuite développée dans le cours ou le corps du texte ou du discours ; de même, la fin à une valeur et une signification particulières : terminer une lettre un discours c’est aussi redire une fois encore l’essentiel en trouvant une manière de rendre favorable celui, celle, qui lit ou qui entend.
Introduction et conclusion se rejoignent et encadrent ou emballent le récit, la lettre, le discours… comme le décalogue lui-même. Il commençait par une affirmation solennelle de libération : « C’est moi le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude, tu n’auras pas d’autres dieux face à moi ». Ce projet inaugural sera présent dans toutes les paroles de Dieu reçues par Moïse, comme pour nous dire : ces paroles, ces lois, ces possibilités de vivre devant Dieu et devant ou avec les autres, c’est bon pour toi, c’est bon pour vous comme communauté particulière ou comme communauté humaine. Voilà devant vous, le cadre et le contenu d’une vie possible qui respectent Dieu et qui respectent les autres qui vous entourent.

A partir de ce commencement, les commandements négatifs et positifs concernent des actes et des réalités très concrètes, des actions précises et claires : faire ou ne pas se faire d’idoles, prononcer en vérité le nom divin, respecter le temps du sabbat, compter avec ses parents, ne pas tuer, ne pas nier l’autre dans l’adultère, le vol et la parole fausse. Mais maintenant, il faut terminer, achever ce concentré essentiel de paroles qui trouveront leurs développements ou leurs décrets d’application dans toute la Thora, dans les cinq premiers livres de la Bible. Il faut terminer et faire un pas de plus ou un pas différent.
Tu ne convoiteras pas, tu ne convoiteras rien de ce qui est à ton prochain ; il ne s’agit plus de faire ou de parler ou de respecter le temps ou une loi précise, il s’agit maintenant de faire retour sur soi.

La dernière parole du décalogue est une parole d’intimité et d’intentionnalité. Nous voici placés en situation avant que la chose arrive. Nous voici en quelque sorte dans un dialogue intérieur, en débat avec nous-mêmes, comme dans notre maison personnelle et privée, en notre for intérieur, sans que cela se voie d’abord à l’extérieur.
Le dernier commandement n’est pas seulement l’ultime affirmation récapitulative du respect de la propriété privée : tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain. Il est plutôt l’annonce, qu’en fin de compte, tout se passe d’abord en nous ; la convoitise, ou mieux encore le désir, ce sera la tentation de ramener l’autre à moi, de réduire sa maison à la mienne. Ne pas y céder sera la possibilité retrouvée de vivre ensemble, côte à côte. Ici est énoncée la possibilité de vivre en proximité organisée, où l’autre va exister sans que je le réduise et où je vais exister sans croître à ses dépens.

Il n’y a pas, il n’y aura jamais une seule maison, la mienne qui serait seulement enrichie de celle des autres ; il y aura toujours plusieurs maisons, plusieurs prochains, plusieurs autres moi-mêmes, libres et avec qui des relations de vie peuvent s’établir.
L’existence affirmée et reconnue de la maison du prochain c’est l’affirmation de la fin du totalitarisme dans tous les domaines. C’est l’annonce bienfaisante de la possibilité de la diversité de la pluralité et non de la fusion ou de l’unité réductrice. La maison de l’autre c’est à la fois la réalité concrète de l’habitation et de tout ce qu’il faut pour vivre. Israël a toujours connu la maison en ses multiples sens, bâtiment, mais aussi famille, descendance. On dit aussi bien la maison d’Israël, la maison de Joseph, que la maison de Dieu. La première lettre de la Bible, le Beth a pour signification maison et sa graphie représente une porte celle de la maison ; lire la Bible, au commencement, c’est entrer
dans la maison de l’Autre et par l’étude et l’écoute, c’est renoncer à la convoitise de la maison des autres.
La fin du décalogue rejoint étrangement le début du décalogue ; je t’ai fait sortir de la maison de servitude, c’est la raison pour laquelle tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. De l’Egypte au prochain, de l’esclavage au service assumé. D’une maison à l’autre. Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père. Mais en chacun de nous, il y a la maison asservie de la convoitise de la captation, de la fascination ; et il y a aussi la maison libérée de la convoitise dominée et transformée en relations ouvertes libres et sereines. « Il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison, » dit Jésus à Zachée (Luc 19:5).

Le peuple d’Israël comme tous les peuples a été bien sûr, confronté à ce défi immense ; peut-on vivre et s’épanouir sans convoiter, c’est-à-dire sans désirer pour soi ; sans réduire l’autre à mon service au lieu de vivre une relation de service. Toute la tradition prophétique en Israël a été de mettre en garde contre cette fascination destructrice de l’autre : la mise en place des premières tribus sur le sol de la Palestine a été le cadre de productions de lois, de codes pour gérer ce que l’on appelle l’interdit, et qui ressemble à la gestion de la razzia ; très tôt dans le désert même Israël a convoité son esclavage même en Egypte ; très tôt les dieux des autres ont été fascinants et plus intéressants et plus visibles que le Dieu de Moïse. Très tôt aussi, Israël a résisté à la convoitise de la religion des autres, il a renoncé longtemps à la construction du Temple et de maisons ; le peuple a vécu sous des tentes et son Dieu aussi.
Peut-on vivre et s’épanouir sans convoiter ? Nos sociétés pourtant modernes et évoluées ne fondent-elles pas tout leur développement sur la convoitise ? Ou sur le désir de l’autre dans sa réduction pour notre accroissement. Le fondement de toute bonne pub n’est-il pas de me donner envie d’avoir et de posséder ce que je n’ai pas encore. Les affiches sur les murs de nos villes dans nos magazines, dans les médias exacerbent ce sentiment de convoitise : me donner envie de me satisfaire de la possession d’objets, d’habits, de marques, ou d’êtres humains réduits et objectivés mais aussi de matières premières au détriment de la maison de l’autre.

OMC, organisation mondiale du commerce. En ce moment même, pourrait retentir à Cancun, le dixième et ultime commandement : tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, mais tu établiras des règles et des droits identiques pour chacun, pour un commerce enfin équitable.

L’économie mondiale repose sur la convoitise réalisée, parcourue, assumée, revendiquée. Economie est le bon mot en effet puisqu’il contient le mot maison et le mot loi. La loi de la maison quelle sera t-elle ? La loi de la maison commune ou de nos maisons particulières. Si Dieu ne bâtit la maison, en vain travaillent les maçons ! Si Dieu ne bâtit pas ne charpente pas notre foi, la maison de notre foi sera tentée par la convoitise ; si Dieu ne construit pas l’Eglise, nous irons voir ailleurs en croyant vainement que la solution s’y trouve. C’est bien la présence de Dieu en nous et tout près de nous dans sa parole comme dans la vie de la communauté qui peut nous préserver d’annexer sans cesse l’autre et toute sa maison.

Nous terminons cette lecture des 10 paroles qui se déroule entre ces deux maisons celle de la servitude et celle de l’autre que je peux rencontrer, visiter sans l’annexer.
La maison de la foi et de la vie ce n’est pas une maison statique immobile, imposante ; la maison que Dieu habite avec nous c’est ce chemin, ce cheminement ce parcours cette déambulation parmi toute la terre habitée que Jésus le Christ est venu habiter lui qui avait renoncé à la convoitise de la maison de l’autre et qui n’avez pas de lieu ou reposer sa tête.
La place que nous lui réservons dans nos habitations personnelles comme dans notre communauté, la première, sera le gage de pouvoir vivre en vérité ces commandements, c’est à dire cette liberté du cœur enfin retrouvée.

Amen !

Author: Gilles Boucomont

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