Le prosélytisme, c’est mal ?

Prédication donnée à l’Eglise Réformée du Marais, sur la base des textes bibliques suivants :
1 Corinthiens 9:16-23 – Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile
1 Pierre 3:13-17 – Rendre compte de l’espérance qui est en nous

1 Corinthiens 9:16-23 – Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile
16 Si j’annonce l’Évangile, ce n’est pas pour moi un sujet de gloire, car la nécessité m’en est imposée, et malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! 17 Si je le fais de bon coeur, j’en ai la récompense ; mais si je le fais malgré moi, c’est une charge qui m’est confiée. 18 Quelle est donc ma récompense ? C’est d’offrir gratuitement l’Évangile que j’annonce, sans user de mon droit de prédicateur de l’Évangile. 19 Car, bien que je sois libre à l’égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre. 20 Avec les Juifs, j’ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs; avec ceux qui sont sous la loi, comme sous la loi (quoique je ne sois pas moi-même sous la loi), afin de gagner ceux qui sont sous la loi ; 21 avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi (quoique je ne sois point sans la loi de Dieu, étant sous la loi de Christ), afin de gagner ceux qui sont sans loi. 22 J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns. 23 Je fais tout à cause de l’Évangile, afin d’y avoir part.

1 Pierre 3:13-17 – Rendre compte de l’espérance qui est en nous
13 Et qui vous maltraitera, si vous êtes zélés pour le bien ? 14 D’ailleurs, quand vous souffririez pour la justice, vous seriez heureux. N’ayez d’eux aucune crainte, et ne soyez pas troublés ; 15 Mais sanctifiez dans vos coeurs Christ le Seigneur, étant toujours prêts à vous défendre, avec douceur et respect, devant quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous, 16 et ayant une bonne conscience, afin que, là même où ils vous calomnient comme si vous étiez des malfaiteurs, ceux qui décrient votre bonne conduite en Christ soient couverts de confusion. 17 Car il vaut mieux souffrir, si telle est la volonté de Dieu, en faisant le bien qu’en faisant le mal.

Prédication :

« Tenez vous prêts en tout circonstance à rendre compte de l’espérance qui est en vous. » Voici la meilleure illustration de cette disponibilité du cœur et de la parole qui nous est demandée pour les autres.
En effet, nous ne sommes pas chrétiens pour nous-mêmes. Nous ne sommes pas chrétiens pour nous faire du bien, pour administrer notre culpabilité, pour gérer nos conflits intérieurs et les tourments de nos âmes. Si nous sommes chrétiens, c’est parce qu’un homme du nom de Jésus a été capable de se décentrer suffisamment de lui-même pour pouvoir conduire tous ceux qu’il rencontrait sur un véritable chemin de liberté. Et cette liberté consiste justement à ne plus se considérer comme le centre de soi-même. Cette liberté consiste à laisser de la place pour les autres et pour le Tout-Autre qu’est Dieu. Que ça fait du bien de ne plus tourner en rond à l’intérieur de soi-même.
Jésus a réussi à vivre cette réalité, alors que beaucoup d’humains jusque là s’étaient contenté d’en avoir l’intuition et de désirer ce décentrement sans pour autant y arriver. C’est l’Esprit Saint qui a permis à Jésus de vivre ce décentrement de lui même, pour qu’il puisse devenir ce que Dieu avait désiré à son égard, c’est-à-dire un être pour les autres, un être centré sur les autres, telle une figure géométrique impossible où un cercle aurait son centre à l’extérieur de sa circonférence.
A la suite du Christ, nous sommes à notre tour mis en capacité par le Saint-Esprit de ne plus être autocentrés, de ne plus être fascinés par notre confort, par notre identité nombriliste, par l’image de nous-mêmes que nous façonnons comme une idole à vénérer. Oui, le Saint-Esprit, une fois le cercle de notre vie tracé sur le papier du livre de vie, opère cette aberration géométrique de déplacer notre centre. Ainsi le centre de nous-mêmes devient cet Esprit de Dieu que nous pouvons adorer parce qu’il apporte dans l’enfermement de notre égocentrisme un souffle vivifiant, une brise céleste venue de Dieu qui balaye les poussières, soulève la cendre et ravive la flamme. Telle est la bonne nouvelle pour nous-mêmes, personnellement : Dieu peut nous faire sortir de nos schémas circulaires.
Mais cela ne vaut pas qu’à un niveau individuel, car en réalité, Dieu opère aussi ce miracle pour la personne qui est la plus chère à ses yeux et qu’on appelle l’Église. C’est son épouse nous disent plusieurs textes bibliques. Alors il en prend soin. Et à elle aussi, il donne la possibilité de se décentrer. L’Église est plus complexe encore parce qu’elle a deux centres hors d’elle-même.
Tout d’abord elle a Dieu, Père, Fils et Esprit, au centre d’elle-même, mais ce centre n’est pas contenu par elle, car l’Église ne possède pas Dieu, elle l’aime. Elle l’aime comme l’amoureux qui arrive toujours du dehors, qui est attirant justement à cause de son étrangeté, de sa différence fascinante.
Mais, en plus de Dieu, l’Église a le monde pour second centre. Car sa destinée fondamentale est d’annoncer au monde entier la joie salvatrice de ce décentrement vécu en Dieu.
Comme nous ne sommes pas chrétiens pour nous-mêmes, l’Église n’est pas Eglise pour elle-même mais elle l’est pour les autres. Le service est dans sa vocation, le service de ceux qui sont à l’extérieur du petit cercle des convaincus, non pas seulement dans la perspective de faire des membres supplémentaires, mais simplement à cause de la joie qu’il y a à partager une bonne nouvelle avec des tas de personnes. Récemment, j’ai appris qu’un ami assez âgé se mariait. C’était douloureux pour lui de rester seul avec les années qui passaient. Ce fut une telle bonne nouvelle que j’avais envie de le partager avec des dizaines de personnes, tellement cette échéance me remplissait de joie. Mais la bonne nouvelle de l’Evangile est mille fois plus importante encore, et elle est porteuse de mille fois plus de joie encore, car il s’agit du mariage de Dieu avec son Église qu’on doit annoncer, il s’agit des épousailles entre le Christ et le croyant qu’il faut proclamer. Quelle joie ! Cela ne saurait être une charge, comme le dit Paul, car c’est tellement glorieux ! C’est une joie incomparable que d’aller vers les autres pour leur dire que Dieu les libère d’eux-mêmes !
Mais voilà, par une étrange manipulation de nos esprits, nous sommes souvent paralysés pour témoigner de cette joie. Nous sommes mêmes tellement tétanisés que d’une part nous n’avons même pas l’idée de partager cette nouvelle, ou que d’autre part, nous n’avons même pas vraiment compris qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle. Disons que c’est une info. Une info noyée parmi mille autre : Jésus-Christ est le Sauveur. Et il fera beau demain. Et la RATP a augmenté le prix du ticket hier. Et…
C’est une info. Alors que Paul nous parle d’une Bonne Nouvelle pas d’une information. C’est vital.
Alors, nous nous abritons derrière une loi qui n’existe pas mais que tout le monde proclame comme si elle était de droit divin : « Il ne faut pas choquer les autres ».
Imaginez Jésus en train d’envoyer les soixante-dix en mission : « Allez, prêchez, et dites: Le royaume des cieux est proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons, mais surtout… surtout, ne faites pas de prosélytisme. »
L’interdiction du prosélytisme est une loi qui n’existe pas, sinon en Algérie depuis deux mois et en Arabie Saoudite depuis plus longtemps. En France le prosélytisme n’est pas interdit, sinon dans des cadres précis que l’on peut comprendre (fonction publique, lieux d’éducation, etc.). Mais sinon le prosélytisme est tout à fait autorisé. D’où vient donc cette loi tellement inscrite dans les cœurs des chrétiens de ce siècle qui fait qu’ils n’auraient pas droit de rendre compte de leur espérance ? Certains poussent même le vice jusqu’à essayer d’avoir de pieuses justifications telle que la charité, le respect, la tolérance… Mais ! Qui a dit que les frontières des religions n’étaient pas à traverser, voire à transgresser ? Montrez-moi le texte de cette loi-là ? C’est comme si dans les esprits de nombre d’entre nous, il y avait eu une sorte de Yalta des religions, un partage du monde. Tu t’appelles Mohammed tu es musulman. Tu t’appelles Kim Jong tu es bouddhiste. Tu t’appelles Monique tu es chrétienne. Qui a dit ça ? et où est cette loi comme quoi ces frontières seraient infranchissables ? Non seulement c’est faux au niveau légal et règlement (pareille loi n’existe pas !), mais en plus c’est faux au niveau spirituel. Car Jésus envoie, envoie, envoie sans cesse ceux qui sont venus à lui pour qu’ils aillent témoigner au loin et que soient plus nombreuse la foule joyeuse de ceux qui ne sont plus au centre d’eux-mêmes.
Croyez-vous que nous serions ici, si d’autres n’avaient pas pris le risque de payer de leur vie pour que nous puissions confortablement entendre cette parole aujourd’hui ? Croyez-vous que nous serions ensemble ce matin si nos prédécesseurs avaient cru à la légitimité de cette loi diabolique comme quoi le prosélytisme est interdit ? Croyez-vous, enfin, qu’il y aura des gens dans les églises dans dix ans si les chrétiens ne se secouent pas, s’ils n’entrent pas dans leur divine vocation qui consiste à prendre la parole, à se saisir de la parole de la liberté, et à l’annoncer à ce monde qui meurt replié sur son ventre ?
« Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile », ces mots de Paul sont durs car c’était son caractère, mais ils disent bien l’impératif qui se présente à celui qui a accepté que Dieu et les autres deviennent son propre centre. « Qu’est-ce que je serais malheureux si je n’avais pas la possibilité de partager ce trésor de liberté ! Je serais bien malheureux si je devais me replier encore et encore sur mon confort, mes angoisses et mes perspectives ».
Que Dieu nous inspire ces repositionnements salutaires.
Amen

Author: Gilles Boucomont

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