Dieu sauve (3) des ruptures

Dieu sauve
Nos contemporains sont sûrs que la question des origines est une préoccupation théologique première pour les Juifs et les chrétiens. Le texte de la Genèse est bien connu de tous, même au-delà du cercle des croyants. Pour autant, la question des origines n’a pas beaucoup préoccupé le peuple de Dieu à travers les siècles, mais bien plutôt la question de la survie, du salut : “Comment fait-on pour être sauvé ?”. Nos contemporains se demandent plutôt : “De quoi Dieu nous sauverait-il ?”.

Texte de référence : Premier testament, Genèse 3:1-7, et Nouveau Testament : 2 Corinthiens 5:17-20
Prédication donnée l’été 2005 à l’Eglise Réformée du Marais

Prédication

La première semaine de juillet vous avez été sauvés de l’esclavage.
La semaine dernière, Dieu vous a sauvé de la mort.
Aujourd’hui, Dieu vous sauve des ruptures.

Mais qu’entendons-nous par là ?
En effet, ce sont les religions qui annoncent couramment que tout ira bien dans tous les registres de notre vie si l’on est bien obéissant envers les clercs, si on fait correctement sa prière et si on donne un dixième de ses revenus, déductibles des impôts à hauteur de 60 % des dons dans la limite de 10 % du revenu imposable. Si vous faites bien tout ça, vous ne connaîtrez plus les pleurs, ni la douleur, vous n’aurez plus de dent cariée, de grandes disputes pour savoir qui doit faire la vaisselle, etc. En gros, si vous faites bien ce qu’on vous dit, il n’y aura ni problèmes ni contraintes dans votre vie. Voilà un bon vieux langage religieux comme on les aime. Pourtant on dit bien qu’après 50 ans, si un matin vous vous réveillez et que vous ne ressentez aucune douleur nulle part, aucun engourdissement ou tension, c’est que vous êtes mort…

Soyons réalistes, les problèmes, les contraintes et les ruptures, nous en aurons toujours.
Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Dieu de Moïse et de Jésus-Christ, n’a jamais prétendu qu’avec son aide et dès notre séjour terrestre nous vivrions dans une sorte de Nirvana à l’abri du mal. Il ne nous a jamais appelé à fuir le monde et ses responsabilités, à nier la dureté de la vie, ou à proclamer contre tout bon sens que la souffrance est une vieille histoire. Au contraire, Dieu a toujours appelé les générations successives de croyants à prendre acte de toutes les conséquences que peut avoir cette souffrance et ces ruptures. Tant qu’à faire d’avoir à vivre avec elles, autant les appeler par leur nom.
Dans un zèle de despotisme mal éclairé, certains de la génération d’après 1968 ont essayé de nous faire croire qu’il ne fallait plus parler de péché dans l’Église, parce que c’était dépassé, que ça ennuyait les gens qui ont fait un effort pour venir nous entendre parler, et que surtout, ça a l’immense désagrément d’être désagréable, voire même, parfois, « Horreur ! » culpabilisant… C’était une grande découverte, vous en conviendrez, de s’apercevoir que la culpabilité nous met mal à l’aise.

C’est ainsi que, malgré toutes les révolutions de l’histoire des mentalités, le Dieu d’Israël et des chrétiens continue à nous assurer que le péché existe bien, et que les ruptures de notre vie ne sont pas insignifiantes.

Et c’est justement parce que cela existe que le projet de Dieu consiste à nous en sauver. A quoi servirait-il à Dieu de nous sauver de quelque chose qui n’existe pas ? A quoi nous servirait-il ne nous réjouir d’avoir été sauvés d’un péril qui n’a jamais existé ? Puis-je dire aujourd’hui que je suis « sauvé de la peste » ? Non : j’en suis préservé.
Pour pouvoir être sauvé de quelque chose ou de quelqu’un, il faut avoir été pris, avoir été prisonnier de cette chose ou de cette personne. Dieu nous sauve donc des ruptures et du péché parce que nous y sommes enfoncés jusqu’au cou.
Encore faudrait-il être bien d’accord sur ce que signifie ce mot péché. En hébreu comme en grec, c’est-à-dire dans le Premier comme dans le Nouveau Testament, le mot péché vient d’une racine qui veut dire « manquer son but » ou encore « rater la cible ».
L’image est simple, c’est celle du tireur à l’arc qui concentre toute son énergie sur le centre de la cible que doit atteindre sa flèche. Toute son existence est suspendue à un fil et n’a à cet instant qu’un objectif : atteindre le but. Mais dès que la corde de l’arc est lâchée, la flèche part. Et alors, il n’y a plus grand chose de maîtrisable. La flèche peut partir de travers dès le début parce qu’on a mal visé. Ou alors elle peut être détournée par un vent contraignant. Et alors elle sort de la cible, elle manque le but. C’est ça, le péché, étymologiquement. On peut faire l’imbécile et tirer en l’air : c’est le n’importe quoi du péché volontaire. On peut essayer de bien faire mais être dérangé au moment même où on lâche prise ; et il suffit d’une petite fourmi qui vous chatouille pour que le bras soit dévié. On peut aussi trembler de peur, mal viser, que sais-je encore. On peut encore faire partir la flèche tout à fait correctement, et ce sont alors des forces qui nous entourent qui la font dévier sans qu’on ait aucune prise sur les conséquences de notre geste.

Spirituellement, vous comprendrez bien que la cible de notre vie ne consiste pas simplement dans le fait de se donner des objectifs et de les atteindre. La cible, c’est plutôt le projet que Dieu a prévu pour nous, cette volonté dont nous demandons, parfois machinalement, qu’elle « soit faite sur la terre comme au ciel ». C’est donc Dieu qui place la cible, qui donne les objectifs, c’est lui qui fait des projets pour nous comme l’ont dit les prophètes, projets de paix et non de malheur (Jérémie 29:11). Notre problème consiste souvent à nous demander dans quelle direction faut-il viser. D’autant plus que nous avons la fâcheuse habitude de ne pas demander explicitement au Seigneur vers où il souhaite que nous dirigions nos regards, notre énergie et nos combats.
Dieu, lui, sait où nous devons tenter d’envoyer nos flèches. Mais nous, pour toutes les raisons que nous avons évoquées, nous avons du mal à atteindre les objectifs qu’il nous a fixés.

Voyez le pathétique tableau d’Adam et Eve qui avaient une consigne simplissime : ils pouvaient tirer partout, sauf dans l’arbre au centre du jardin. Et c’est justement ce qu’ils ont fait. Traditionnellement, on doit tirer simplement sur un point, mais là, comme c’était un début, la consigne était encore plus élémentaire ; et malgré tout ils ont échoué.
Nous avons donc besoin sans cesse de réajuster le tir dans notre vie. Dieu nous sauve donc de cette situation d’échec en nous redonnant notre chance ; il rajoute des flèches dans notre carquois. Il nous permet d’aller nous rhabiller, comme pour Adam et Ève. Et figurez-vous qu’il va même parfois jusqu’à déplacer la cible pour nous la rendre plus atteignable. Il paraîtrait même qu’on l’a vu, parfois, souffler de tout son souffle sur des flèches qui partaient mal mais dont il essayait de corriger la trajectoire…

Le péché, dans notre vie, consiste toujours en une rupture de contrat.
Dieu donne un objectif, il nous donne les moyens de l’atteindre, mais nous n’y arrivons pas. Il arrive nous changions de projet, carrément ; ou encore que, tout simplement, nous n’y mettions pas du nôtre pour y parvenir. Et c’est en cela que le péché est une rupture. Laissons aux oubliettes le péché qui serait une faute morale ou un écart à la bienséance des conformistes. Le péché biblique, celui dont Dieu nous sauve, est une rupture de relation. C’est en cela que les dix commandements ou le commandement d’amour du Christ nous aident à tracer les contours du péché.

Tu veux adorer une autre puissance ? Mais c’est une rupture de confiance par rapport à l’Éternel, ton Dieu…
Tu veux te prosterner devant des images taillées ? Mais c’est une rupture par rapport aux projets de liberté que t’offre l’Eternel, ton Dieu…
Tu ne veux pas te reposer dans la semaine ? Mais c’est une rupture par rapport à la célébration de la liberté que tu ne peux vivre que depuis que tu as été libéré de l’esclavage…
Tu veux tuer ? Mais c’est une rupture par rapport au désir de vie que le Seigneur a placé sur toute sa création…
Tu ne veux pas aimer ton prochain comme toi-même ? Mais c’est une rupture par rapport à tous les humains qui ne sont rien d’autres que tes frères…

Dieu nous sauve de toutes ces ruptures.
En Jésus-Christ nous sommes réconciliés avec ce Dieu qui aurait tous les éléments dans son carquois à lui pour nous décocher une flèche de sa rancune et de son ressentiment. Mais il ne le fait pas. Son projet, sa cible à lui est toute autre. Et il ne manque jamais son tir. Son projet à lui est un projet de pardon, fondamentalement un projet de pardon et d’ajustement, de réconciliation.
Et Jésus-Christ est le meilleur professeur de tir à l’arc qu’ait jamais connu l’humanité. C’est lui qui nous réapprend le regard à poser sur les réalités du monde, c’est lui qui nous réapprend les gestes pour viser juste. C’est lui qui nous réapprend les combats équitables auxquels nous sommes appelés.
Oui, en Jésus-Christ, Dieu nous sauve des ruptures que nous vivons avec lui-même ou avec les autres, ces ruptures dans lesquelles notre quotidien est parfois empêtré jusqu’à l’étouffement. Il nous en sauve et nous en libère, afin que nous soyons libres.
Que ce salut soit votre assurance.

Amen !

Author: Gilles Boucomont

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