La question du rapport du chrétien à la guerre doit être mise en relation avec l’histoire de l’Eglise, et les compréhensions divergentes du 6e commandement (« tu ne tueras point »). Lors des trois premiers siècles du christianisme, la vocation militaire au service d’un empereur païen était largement vu comme incompatible avec la foi chrétienne, sous peine d’excommunication (c’était l’époque des soldats martyrs, tel que saint Georges). Avec la conversion de Constantin et la théorie de la guerre juste d’Augustin, l’acceptation de la vocation militaire se généralisa chez les chrétiens, même si l’Eglise tenta d’endiguer la violence endémique du Moyen-âge en régulant la guerre (la paix et la trêve de Dieu, mais aussi le code chevaleresque). Les croisades marquent un tournant dans le sens que la guerre pouvait non seulement être juste (répondre à une menace légitime, et se conformer à un code de la guerre), mais aussi sainte (voulue par Dieu). Ces croisades se généralisèrent au Moyen-âge tardif, non seulement contre les infidèles (musulmans), mais aussi les païens (tribus baltes), les schismatiques (chrétiens orthodoxes) et les hérétiques (cathares, hussites). Les guerres de religion qui suivirent la Réforme furent particulièrement brutales, et marquèrent durablement les esprits. Si certains en furent désenchantés par la foi chrétienne (déistes, rationalistes), d’autres chrétiens commencèrent à développer une doctrine pacifiste (en particulier les Mennonites et les Quakers). Les deux convictions (guerre juste et pacifisme) ont co-existé depuis. Si les boucheries de 14-18 ont fortifié le courant pacifiste dans la démonstration de l’absurdité de la guerre, des conflits comme celles de 39-45 ont pu convaincre jusqu’à des pacifistes tel que Dietrich Bonhoeffer de la nécessité d’une résistance, y compris armée, au Mal.
Alors, que dit la Bible sur le sujet ? L’Ancien Testament semble conforter la position de la guerre juste, depuis la conquête de Canaan par Josué jusqu’aux guerres du roi David. Dans ce sens, il n’est pas possible de lire le 6e commandement (Exode 20.13) comme une injonction contre toute forme d’homicide, puisque la Torah prescrit la peine capitale pour certains crimes (ex : Genèse 9.6, mais aussi Exode 21.12-17, juste après le commandement). Jésus vient toutefois changer de paradigme, puisqu’il prône dans le Sermon sur la Montagne la non-résistance au mal (tendre l’autre joue, aimer et prier pour ses ennemis, etc., cf. Matthieu 5.38-48). Jésus semble entériner ce principe quand il refuse à Pierre le droit de le défendre contre ceux qui vont le crucifier (« tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. » Matthieu 26.52). Il est clair qu’en temps que disciples de celui qui est appelé le prince de la paix (Esaïe 9.6), nous devons procurer la paix, et privilégier les solutions non-violentes. Toutefois, Paul nous rappelle que cela n’est pas toujours en notre pouvoir : « s’il est possible, autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les hommes. » (Romains 12.18). Nous vivons dans un monde où Satan est encore bien actif, et où les hommes méchants et violents semblent triompher. Dans ce contexte, Jésus semble dans certains passages maintenir le droit à la légitime défense (Luc 11.21, Luc 22.36-38). Le devoir de protéger le faible est aussi fondé bibliquement (ex : Psaume 82.4, Proverbes 24.11, Jérémie 22.3). Et nous sommes tous, bien que citoyens du ciel, citoyens de nos pays respectifs (comme Paul, le citoyen romain), soumis aux mêmes devoirs que nos concitoyens (devoirs qui impliquaient jusqu’à récemment le service militaire). Jean-Baptiste n’a pas demandé à ses auditeurs soldats de renoncer à l’épée, mais à la fraude et à l’extorsion (Luc 3.14). Aucune demande pacifiste n’est formulée à l’égard du centurion Corneille (Actes 10). Paul reconnait au magistrat le droit à l’épée, celui-ci étant « serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal » (Romains 13.4).
Tous ces versets ne forment pas une doctrine entièrement construite, ni en faveur du pacifisme, ni en faveur de la guerre juste. Tout au plus permettent-elles de tracer les contours de la liberté du chrétien, partagé entre sa répugnance pour la violence et le besoin de faire obstacle au mal. En cela, la doctrine des deux royaumes de Martin Luther est intéressante, puisqu’elle rappelle que si l’épée est bannie du royaume céleste, elle demeure une nécessité dans le royaume terrestre. La mesure dans laquelle un chrétien doit participer aux conflits de sa patrie terrestre reste une question ouverte, à laquelle il doit répondre en conscience.
Auteur/autrice : Joël Dacosta
Pourquoi Dieu ne guérit pas les gens pour lesquels on intercède ? [Annie]
La question de « l’efficacité » de nos prières doit prendre en compte plusieurs paramètres, et plusieurs versets bibliques qui, pris individuellement, pourraient nous faire perdre de vue l’ensemble.
D’un côté, nous croyons que Dieu est bon, et que dans Sa bonté Il désire guérir les malades. Nous voyons cette réalité dans le ministère de Jésus, qui guérissait tous ceux qui s’approchaient de lui (ex : Luc 4.40, Matthieu 8.16). Cela était possible car il était lui-même celui qui allait porter non seulement nos péchés, mais nos maladies sur la croix (Matthieu 8.17). Il laissa d’ailleurs à ces disciples d’incroyables promesses, promettant de répondre dès lors qu’une prière est faite avec foi (Marc 11.24), en son nom (Jean 14.13), et dans l’unité (Matthieu 18.19). Avec de telles promesses qui semblent être autant de chèques en blanc, il n’est pas surprenant que certains en soient venues à croire que, si tout est possible à celui qui croit (Marc 9.23), il doit être possible au chrétien d’utiliser la Toute-puissance de Dieu pour faire advenir la réalité qu’il désire. Dans cette optique, la seule limite à la bénédiction de Dieu est notre propre incrédulité (Marc 6.5). Mais c’est courir le risque de transformer Dieu en un distributeur de bénédictions à la demande, et de nier le fait que Dieu peut avoir un but bienveillant dans les souffrances que nous traversons (éprouver notre foi, forger notre caractère, etc.).
Cela nous emmène à notre deuxième point. Si nous devons prier avec persévérance et foi, nous devons aussi prendre en compte la souveraineté de Dieu, et nous soumettre à Sa volonté pour nos vies. Ainsi, l’apôtre Paul demanda trois fois à Dieu d’enlever l’écharde qui était dans sa chair, pour recevoir pour réponse « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (2 Corinthiens 12.9). De même, Jésus, dans le jardin de Gethsémané, conclut sa prière en disant à son Père « toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Marc 14.36). L’apôtre Jean résume bien l’articulation de la foi avec la soumission à la volonté de Dieu : « Nous avons auprès de lui cette assurance, que si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute. Et si nous savons qu’il nous écoute, quelque chose que nous demandions, nous savons que nous possédons la chose que nous lui avons demandée. » (1 Jean 5.14-15). Dès lors, la prière est efficace, moins dans le sens qu’elle change la volonté de Dieu, mais bien dans le sens qu’elle nous amène à transformer notre volonté pour l’emmener en correspondance avec la sienne. Cela ne veut pas dire que la prière ne change pas la réalité concrète de nos vies (ou de celles pour lesquelles nous prions) : au contraire, Dieu se sert de nos prières (qu’Il guide et inspire) pour transformer nos réalités et pour guérir ceux qui sont malades. Et n’oublions pas que la première maladie qui afflige les hommes est le péché, et que Christ est prêt à guérir quiconque vient à lui pour le remède !