Pour en finir avec l’ingratitude

Prédication donnée au temple du Marais le dimanche 10 septembre 2006. Les textes utilisés étaient 1 Thessaloniciens 5:16-22 et Esaïe 10:15

Esaïe 10:15
Est-ce que la hache se vante à la place de celui qui s’en sert ?
Est-ce que la scie se montre orgueilleuse à la place de celui qui l’utilise ?
C’est comme si le fouet faisait bouger le bras qui le lève,
ou comme si le bâton dirigeait la main qui le tient.

Prédication
Je ne sais pas si vous avez pris la mesure de l’opulence qui est la nôtre ? On se plaint beaucoup — c’est le syndrôme de l’enfant gâté — et il nous manque toujours quelque chose. Cet appétit sans fin est la base même de notre système de vie, de notre économie, et cela pénètre très profondément jusque dans nos pensées. L’insatisfaction est devenu une façon d’être inévitable, que ce soit en soi-même ou devant les autres. Telle chose ne va pas. Ça n’a jamais été « aussi pire ». Tout part en lambeaux. Voyez combien ces idées sont des refrains que nous n’arrivons pas toujours à remettre à leur place, que nous n’arrivons pas toujours à requalifier pour ce qu’ils sont : des stéréotypes et des idées toutes faites.
Dire sans cesse que tout va mal, que tout se dégrade, est quand même insultant pour ceux qui vont vraiment mal, ce qui est le cas de la majorité des citoyens de cette terre et des pays de cette planète. Comment se fait-il qu’un pays où tout va mal, qu’une Europe en prétendue déliquescence n’ait jamais été aussi attirante pour ceux qui viennent d’au-delà des mers qui bordent nos frontières ? Ces gens sont-ils fous, qui se précipitent vers « le-pays-où-tout-va-mal-et-de-pire-en-pire » ?
Il y a donc dans notre société une forme d’ingratitude structurelle. D’ailleurs on ne peut dire quelque chose dans les médias que si on a un problème, que si on est victime d’une injustice, d’un orage un peu fort, ou d’une méchante maladie mal remboursée par la sécurité sociale. Donc, il faut que ça aille mal, sinon, qu’est-ce qu’on va dire ? Il faut que ça aille mal, sinon, est-ce qu’on aura le droit de parler ?
Cette racine d’ingratitude est aussi perverse qu’elle est bien installée dans notre monde, et je crains qu’elle soit subrepticement fort bien installée parfois dans nos esprits. Nous nous laissons aller à cette ambiance de l’ingratitude du monde. Je ne dis pas qu’il ne soit pas légitime de se plaindre dans des tas de situations vécues par plusieurs d’entre nous, mais je veux juste pointer du doigt ce qui devient une ambiance générale, une sorte d’obligation structurelle, un discours obligatoire, un langage nécessaire : la plainte.
Cette voie est symétriquement opposée à celle que Dieu nous indique par la bouche de l’apôtre Paul quand il suggère, en plusieurs passages, de « rendre grâce en toutes choses ». C’est bel et bien une question d’attitude, est-ce qu’en toute chose je veux voir une menace, une tentation, un délitement ? Ou est-ce que je choisis la voie de la reconnaissance et de la gratitude ? Oui, en toute chose on peut retirer une expérience structurante, et c’est pour cela que nous pouvons rendre grâce. Même une épreuve, même un temps difficile, sont des occasions d’éprouver notre confiance en Dieu, d’éprouver sa bonté. Que ce soit dans le bonheur ou dans la tristesse, il dépend de nous de savoir quelle posture nous allons prendre par rapport aux choses de la vie. Et c’est cette posture, réfléchie, choisie, mûrie, qui, sans modifier substantiellement les événements en eux-mêmes, nous permettra de les aborder soit avec la conviction d’une inévitable chute, soit avec la conviction qu’un combat peut être mené et gagné.
L’ingratitude, envers les autres et envers Dieu, est comme une paralysie de l’âme. C’est véritablement une maladie dont nous devons être guéris. Et il s’agit, en France, d’une véritable pandémie.
Il y a une bonne nouvelle à savoir qu’on peut tirer une joie et un bénéfice de toute situation, même difficile. Mais cette attitude face au réel ne peut pas être singée, elle doit être vécue, et pour cela, elle doit être accueillie comme un don de Dieu. Dieu seul peut nous donner d’aborder les événements avec l’envie qu’ils soient, quoi qu’il arrive, utiles, intéressants, stimulants.
Pour cela il faut passer par le crible du lâcher-prise à l’égard de Dieu. C’est quand on veut tout tenir que la vie devient intenable. Nul ne peut contrôler l’advenue de ce qui arrive. Et reconnaître qu’on ne maîtrise que peu de chose, c’est, étonnamment, se mettre dans les meilleures dispositions pour recevoir, justement, de la part de Dieu, la capacité imméritée de faire face aux événements. C’est parce qu’on lâche prise qu’on y arrive tout d’un coup. C’est parce qu’on abandonne le projet de tout contrôler que l’on se retrouve capable de maîtriser. Nous voulons faire le travail de Dieu dans notre vie et nous aimerions que Dieu fasse notre travail à notre place. A Dieu soient la gloire et la maîtrise. A nous l’obéissance et la reconnaissance. A Dieu de dessiner les trajectoires optimales, à nous de mettre en œuvre tout ce qui est possible pour cela se passe bien. Et Dieu fera le reste.
C’est parce que nous voulons tout contrôler que nous réalisons à quel point la vie est incontrôlable, qu’elle nous échappe, et que, quand on croit la saisir, elle nous glisse entre les doigts comme une anguille dans la main du pêcheur. Mais combien de temps nous faudra-t-il pour comprendre que c’est tout simplement parce que le contrôle revient à Dieu, la maîtrise lui appartient, et qu’à nous reviennent justement les tâches de la réalisation et de la gratitude.
La prétention à tout maîtriser ne peut que nous laisser insatisfaits car, de toute façon, nous n’y arriverons pas. En revanche, notre existence est appelée à ressembler plutôt à l’attitude du surfeur, qui attend la vague pour la prendre. Et notre vague à nous s’appelle Dieu. Pourquoi vouloir nager à contre-courant, pourquoi vouloir surfer en remontant les vagues ? C’est absurde. Mais aussi absurde est notre envie de recevoir de la reconnaissance.
« Est-ce que la hache se vante à la place de celui qui s’en sert ?
Est-ce que la scie se montre orgueilleuse à la place de celui qui l’utilise ?
C’est comme si le fouet faisait bouger le bras qui le lève,
ou comme si le bâton dirigeait la main qui le tient. »
Ce à quoi Dieu nous appelle en Jésus-Christ, c’est à comprendre que nous pouvons devenir des outils pour un Royaume de justice et de paix. Nous pouvons devenir des outils dans la main de Dieu.
Vous êtes-vous déjà demandé comment Dieu pourrait vous utiliser dans votre famille pour que les uns et les autres puissent accueillir la douce sérénité de ceux qui ont été apaisés par le Prince de paix ? Essayez…
Avez-vous déjà demandé au Seigneur comment il pourrait vous utiliser pour parler de Dieu dans votre lieu d’activité à des gens qui sont peut-être en recherche ? Non pas dans un prosélytisme bêtat comme si vous aviez quelque chose à vendre, mais dans un partage ouvert parce que vous avez quelque chose à donner, que d’autres, un autre jour, vous ont précédemment donné ? Avez-vous demandé à Dieu comment ? Essayez…
Avez-vous sollicité le Seigneur pour savoir ce que voudrait dire « être témoin », non pas en général, mais pour vous, précisément, dans la situation très particulière qui est la vôtre ? Au lieu de nous plaindre de l’ingratitude des autres, avons-nous fait rayonner sur eux, dans nos immeubles et dans nos associations, la douce lumière du Christ ? Essayons…
Devenir des outils dans la main de Dieu, c’est finalement retrouver notre place, car y a-t-il un lieu plus sûr que cette main paternelle ? Devenir des outils, c’est aussi retrouver nos responsabilités, ajuster notre posture dans le monde. Ce n’est pas nous qui tenons, mais nous avons une place et un rôle unique. Nous pouvons nous réjouir de la pertinence et de la beauté du projet de l’artiste ou de l’artisan, qui est Dieu, et nous réjouir d’avoir été là, mais sans avoir à prétendre que tout vienne de nous. C’est salutaire dans toutes les situations. Quand tout va bien et que tout est réussi, cela nous évite l’arrogance, l’orgueil et cette fameuse ingratitude dénoncée aujourd’hui. Et quand tout va mal, cela nous permet aussi de tirer des leçons et de mesurer les conséquences de la situation, en toute responsabilité pour notre part, mais pas comme si tout ne dépendait que de nous.
C’est cette posture-là qui est tenable ; car c’est celle que Dieu veut pour nous. Ni trop ni pas assez. Et en toute circonstance, l’action de grâce, la joyeuse reconnaissance pour celui qui se tient à nos côtés et à qui revient toute gloire.
Amen.

Author: Gilles Boucomont

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *