Sola et Tota Scriptura
Texte de 1991, synthèse de lectures sur le sujet
La Bible sert le Christ. En cela le protestantisme (et surtout le christianisme) n’est pas une religion du livre. Au demeurant toutes les franges du protestantisme reconnaissent l’autorité de l’Écriture.
1 – Réforme et autorité de la Bible
Certes toutes les Églises chrétiennes accordent une autorité majeure et décisive à l’Écriture. Luther n’était-il pas le professeur « catholique » d’Écriture Sainte de l’Université de Wittenberg ? Par contre la Réforme instaure deux ruptures fondamentales.
La première consiste à refuser l’exégèse allégorique qui permettait au prédicateur de faire dire ce qu’il voulait au texte, l’Écriture devenant « un nez de cire » que l’on peut tordre et modeler selon son bon vouloir. C’est la naissance d’une exégèse critique et d’une recherche du sens « historique » qui, contrairement à ce que l’on pouvait croire alors, renforce l’autorité de l’Écriture.
L’Église en tant qu’institution n’a plus le privilège de la juste interprétation de la Bible ; c’est la seconde rupture que pose la Réforme. Certes nul ne peut nier le rôle de l’Église dans la tâche d’interprétation, nul ne peut non plus rejeter les traditions herméneutiques et toutes les interprétations du passé, mais la Vérité ne doit pas être vue dans l’interprétation de la Bible par l’Église, mais dans la Bible elle-même, quand elle est lue dans le témoignage intérieur du Saint-Esprit. C’est la Parole de Dieu qui forme et réforme l’Église. C’est un rapport d’altérité et non d’identité qui s’instaure entre l’Église et l’Écriture. Cette dernière nous invite à une réforme sans cesse renouvelée de notre foi et de nos pratiques ecclésiales. Si l’Écriture n’est pas la parole de Dieu, elle peut par contre le devenir, individuellement.
L’autorité de l’Écriture se trouve d’une part dans le fait qu’elle est un témoignage concernant Jésus-Christ. L’autorité réside dans son objet. Elle se trouve d’autre part dans son origine, à savoir son inspiration, Dieu lui-même. Ces deux figures de l’autorité sont présentes et cohabitent dans les écrits des différents réformateurs.
2 – Luther et le monde luthérien
André Gounelle définit trois grandes polarités pour la lecture et la compréhension luthériennes de l’Écriture.
La première polarité est celle de la lettre et de l’Esprit, du sens premier, historique et du sens second, spirituel. Pour Luther lettre et Esprit sont dans le lecteur et non pas dans le texte biblique. Lire le texte comme une lettre serait ne pas voir son impact existentiel, vivant, parlant. Contrairement à l’exégèse médiévale qui considérait que lettre et Esprit étaient contenus dans le texte lui-même, Luther vient accentuer la place du récepteur de la Parole.
La deuxième polarité est celle de la Loi et de l’Évangile. Tout dépend, là encore de la manière dont on reçoit un texte. Certains textes font Loi quand ils ordonnent. Certains textes font Évangile quand ils donnent. Toute l’Écriture est tension entre ces deux pôles de la Loi et de l’Évangile.
La troisième polarité, enfin, est celle du Christ et de l’Écriture. C’est Christ qui donne sens à l’Écriture. La Parole écrite devient vivante lorsqu’elle est lue à la lumière de la Parole incarnée, le « logos » johannique.
Pour Luther comme pour ceux qui le suivront, le principe matériel de la Réforme « la justification par la foi » détermine le principe formel de « l’autorité des Écritures ».
Le sola scriptura de Luther pourrait laisser croire à l’identité ontologique entre les Écritures et la « Parole » du Dieu vivant. Or Luther rompt avec cette assimilation, traditionnelle dans l’Église des quatorze premiers siècles. Les Écritures ne sont que le lieu où peut surgir une « Parole de Dieu », mais elle ne la contiennent pas ; les Écritures ne sont pas « la Parole de Dieu » au sens littéral du terme. Il n’y a pas de coïncidence parfaite entre les deux.
3 – Calvin et le monde réformé de l’époque
Calvin, comme l’orthodoxie protestante à sa suite, inclinera cette compréhension de l’autorité des Écritures vers une compréhension de plus en plus absolue. Christ transmettrait l’infaillibilité de son Évangile à ses disciples, bientôt rédacteurs des évangiles. Cette compréhension écarte à peu de frais l’ensemble des textes fustigeant l’incompréhension de l’Évangile dont font preuve les disciples. Elle fait de la Bible un contenu de savoir faisant autorité alors qu’il faudrait la considérer comme le lieu d’une rencontre, où peut naître une vérité.
Si la préoccupation première de Luther portait plus sur le sola fide que sur le sola scriptura à l’origine, ce fut pour Calvin et Zwingli une considération fondamentale et dès le début ; le sola gratia étant également acquis, ils pouvaient maintenant se consacrer, comme Luther, au sola scriptura. « Le luthéranisme part de la question du salut, les Réformés de la question de la lecture fidèle, de la bonne interprétation de la Bible ». Alors que Luther s’intéressait à la réception d’une Parole de salut par la lecture de la Bible, Calvin et Zwingli se préoccupent de la compréhension, de l’explication et de l’interprétation de l’Écriture.
Pour Calvin, la « révélation générale » de Dieu par la raison ou la nature ne peut découvrir un Dieu sauveur. Par contre l’Écriture le permet, elle est « révélation scripturaire ». Même si elle ne révèle pas tout, nous n’avons pas besoin d’une plus haute connaissance de Dieu : c’est le fond même du sola scriptura.
Tout ce que dit l’Écriture est utile pour la foi c’est le second volet de la perspective calvinienne, le tota scriptura. Comme il est dit en Deut 4:2, 12:32, Apoc 22:18, il ne faut rien retrancher ni rien ajouter à l’Écriture. Rien ne peut laisser indifférent, ni aller contre la volonté de Dieu.
« L’Écriture est école du Saint-Esprit ». L’Écriture est la « règle du bien et du mal », la « règle tant de nos pensées que de nos paroles », la « règle unique de vraie et parfaite sagesse ».
Les principes de l’exégèse calvinienne sont : 1. le respect du texte, 2. sa fonction d’édification de l’Église, 3. la collégialité de l’interprétation.
La Confession de La Rochelle témoigne : « 4. Nous reconnaissons ces livres (Ancien et Nouveau Testament) être canoniques, et la règle très certaine de notre foi : non tant par le commun accord et consentement de l’Église, que par le témoignage et persuasion intérieure du Saint-Esprit, qui nous les fait discerner d’avec les autres livres ecclésiastiques, sur lesquels, encore qu’ils soient utiles, on ne peut fonder aucun article de foi. 5. Nous croyons que la parole qui est contenue en ces livres, est procédée de Dieu, duquel seul elle prend son autorité, et non des hommes. Et d’autant qu’elle est règle de toute vérité, contenant tout ce qui est nécessaire pour le service de Dieu et notre salut, il n’est loisible aux hommes, ni même aux anges, d’y ajouter, diminuer ou changer. Donc il s’ensuit que ni l’antiquité, ni les coutumes, ni la multitude, ni la sagesse humaine, ni les jugements, ni les arrêts, ni les édits, ni les décrets, ni les conciles, ni les visions, ni les miracles ne doivent être opposés à cette Écriture sainte : mais au contraire toutes choses doivent être examinées et réglées et réformées selon icelles ».