Bien contre mal. Le fruit de quoi ?
Prédication donnée au temple de l’Eglise réformée du Marais le dimanche 3 décembre 2006.
Texte : Galates 5:13-25
L’apôtre Paul nous fait le tableau de la grande guerre qui sévit dans les cœurs de toutes les générations depuis des siècles. Il y a en effet, comme il le dira par ailleurs, une guerre entre deux instances en nous. Le résultat en est que nous faisons ce que nous ne voulons pas faire, alors que nous ne faisons pas ce que nous voudrions faire. Par ce récit, il dresse l’état actuel du champ de bataille.
Voici les forces en présence : d’un côté, ce que l’on appelle les désirs mauvais, ou, dans un vocabulaire moins immédiatement compréhensible, la chair. Ne nous méprenons pas sur ce mot, car il ne veut pas dire dans le langage des premiers chrétiens ce qu’il veut dire pour nos contemporains. La chair, ce n’est pas qu’une question de sensibilité, de sensualité, voire de sexualité, comme on le comprendrait aujourd’hui. Il s’agit plutôt de tout ce qui est du registre de la personnalité, de la psychologie, et de la volonté. La chair, c’est tout ce qui nous rapproche du règne animal, tout ce qui nous attache à la pesanteur du monde et à des réflexes intuitifs comme la violence, l’instinct de survie, l’envie d’écraser plutôt que de se faire écraser. Limiter la chair à la question sexuelle serait donc mal comprendre Paul. Nous disions donc que, de ce côté du champ de bataille intérieur, se trouve ce que l’apôtre appelle ailleurs le « vieil homme » et sa chair, avec ses pesanteurs et ses servilités.
Et de l’autre côté vous trouvez le fruit de l’Esprit, ce que l’Esprit de Dieu produit en nous, quand nous acceptons d’être renouvelés, d’être hissés au statut de créature nouvelle. L’opposition peut paraître caricaturale voire moralisante et à lire trop vite ce texte, nous aurons tout bonnement l’impression qu’il s’agit d’un traité de morale avec d’un côté les vices (idolâtrie, sorcellerie, ripailles, jalousie) et de l’autre les vertus (paix, joie, patience, service). Or, ne nous y trompons pas, l’idée de Paul n’est en rien de nous apprendre que l’ivrognerie n’est pas très bonne, et que le contrôle de soi est plutôt pas mal. Nous n’avions pas besoin de lui pour le savoir. Alors quel est donc son projet ?
Paul évite le piège qui consisterait à dire que la bataille en nous est le fruit d’une guerre entre le bien et le mal, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Les bonnes et les mauvaises attitudes sont ici présentées non pas en tant que telles, mais bien comme des fruits, c’est-à-dire comme des conséquences. Trop souvent les personnes se trompent de combat et s’épuisent à lutter contre certains mouvements de leur âme alors qu’il suffirait de traiter le problème à sa racine, en amont. Le déploiement de sains mouvements du cœur ou de mauvais mouvements n’est que le symptôme d’une problématique plus structurelle, qui peut être résumée en une question : quelle est la loi qui règne en nous ? Est-ce que c’est la loi de la chair, des désirs mauvais, c’est-à-dire la loi de l’accumulation, la loi de la domination, la loi de l’animalité, ou est-ce que c’est la loi du Royaume qui prévaut, la loi de l’Esprit Saint ? Il est fondamental dans toutes les situations de la vie d’aller traiter les problèmes à leur source, sinon nous mourrons d’épuisement dans de vains combats.
Je raconte souvent cette histoire d’une personne qui ne jetais pratiquement jamais ses poubelles, et sa cuisine était vraiment dans un état lamentable. Au bout d’un moment ce sont les rats qui s’y sont installés. La personne posait des pièges, attendait avec un balai pour taper sur les rats quand ils pointaient leur nez, elle faisait des esclandres auprès des services municipaux de dératisation, bref, ces rats devenaient le problème majeur de son existence, sa préoccupation numéro un. Que devait faire cette personne ? Tout simplement aller jeter ses poubelles ! Si elle avait nettoyé sa cuisine, alors les rats n’auraient ici plus rien à se mettre sous la dent. Ils partiraient vers d’autres champs de bataille.
Lutter contre le mal en nous, contre les désirs mauvais, c’est chasser les rats dans une cuisine où les poubelles ne sont pas vidées.
Et beaucoup d’entre nous s’épuisent dans des combats qui sont peut-être tout à fait louables dans leurs intentions, mais pour lesquels ils utilisent des moyens qui ne sont pas du tout adaptés.
L’apôtre Paul vient nous rappeler que la sainteté d’une vie bonne ne passe pas par un combat contre nous-mêmes, contre nos mauvaises habitudes, contre certains penchants, mais qu’elle passe simplement par l’accueil de l’Esprit Saint dans nos vies. L’accueil de l’Esprit de Dieu nécessite que nous déposions entre les mains du Christ toutes nos prétentions à vivre selon d’autres lois que celle de son Royaume. Nous devons lâcher prise par rapport à notre quant à soi, par rapport à toutes ces fausses sagesses, ces fausses bonnes idées, ces faux préceptes de moralité qui n’ont rien à voir avec le projet de Dieu. La moralité et la sainteté ne se ressemblent qu’en apparence ; elles n’ont en fait aucun rapport et nous les confondons. La moralité consiste à se conformer à des lois sociales, dont certaines sont assurément bonnes, mais elles ne sont pas obligatoirement bonnes en soi. C’est au nom de la sagesse, de la loi, de la bonne morale qu’on a crucifié Jésus ! La sainteté, à la différence de la morale, consiste à se conformer aux lois de Dieu. Et elles sont moins évidentes à vivre que les obligations sociales. En tout cas on ne peut pas les vivre par nous-mêmes comme si c’était un programme à suivre. On ne peut les vivre que parce que l’Esprit Saint habite en nous et qu’il vient redresser ce qui est tordu. « Puisque l’Esprit Saint nous fait vivre, laissons-nous conduire par cet Esprit » (Gal 5:25).
Il y a bien une guerre en nous, mais c’est la guerre entre le moralisme et la sainteté. Le Seigneur nous appelle à la sainteté, car son désir, c’est que nous laissions sa sève monter dans nos branches, que nous laissions nos vies être irriguées par le souffle de son Esprit. Le reste, c’est-à-dire les bonnes attitudes, sera donné de surcroît.
« Si l’Esprit Saint nous conduit, nous ne dépendons plus de la loi » (Gal 5 :18).
Il est grand temps que les Eglises cessent d’être les chevaux de Troie de tous les conformismes du monde. L’Église n’est pas du côté de la morale, elle est du côté de l’insolence du Christ. N’entrons pas dans le piège tendu par les media qui ne sollicitent une parole chrétienne que pour remplir la case « réactionnaire » de leurs panels de diversité. Jésus mangeait chez les prostituées et les mafieux. Laissons donc aux moralisants leurs codes étroits, mais plaçons-nous dans une attitude bonne dont la racine n’est pas en nous, mais en Dieu.
« Car voici ce que Dieu produit en nous, en abondance : amour, joie, paix, patience, bonté, service, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi. Bien sûr que la loi n’est pas contre tout ça. » (Gal 5 :22-23). Mais la loi et la morale sont inapte à produire de tels fruits. Elles peuvent interdire des choses, elles peuvent limiter des dégâts, elles peuvent bloquer des débordements, mais elles ne peuvent pas faire pousser pareils fruits. La loi et la morale peuvent brider le mal, mais elles ne peuvent pas susciter le miracle du bon.
Il nous faut retrouver le sens de l’impertinence qui était en Jésus. Car seule cette impertinence est vraiment pertinente et fructueuse. Que Dieu nous inspire un renouveau de nos consécrations personnelles et collectives, et que l’arbre soit jugé à ses fruits.
Amen