Au commencement, c’est toujours la même chose
Quand l’évangéliste Luc achève sa narration de l’histoire de Jésus, il n’a pas fini son œuvre. « Celui qui aime Dieu », ce cher Théophile, à qui il adresse son évangile, aura la chance de lire un deuxième tome qui raconte non plus seulement l’histoire de Jésus, mais la façon dont l’esprit du Christ continue à influencer le monde après avoir rejoint les cieux.
Ces Actes des apôtres sont plutôt le récit des Actes de Jésus ressuscité dans le cœur des apôtres et de leur auditoire. Ils sont en quelque sorte l’épopée de la naissance de l’Église. Ce récit fait donc référence au premier tome de l’œuvre de Luc, puisqu’il est toujours adressé au cher Théophile, mais il nous surprend aussi par l’étrange écho qu’il donne au récit de la Genèse. Les Actes des apôtres sont la genèse de l’Église, et ils reprennent de très près un parcours et une succession d’événements qui nous étonnent par leur proximité théologique avec l’histoire de la première création.
Les deux premiers chapitres de la Genèse racontent l’irruption du Souffle de Dieu dans le chaos informe et vide d’un monde inorganisé. Ce souffle va structurer le monde en un Eden quelque peu idyllique, où tout fonctionne en harmonie, où les problèmes tels que la solitude de l’Adam sont assez vite réglés, pour sa plus grande joie. C’est une terre de partage où la loi de Dieu règne. Au troisième chapitre, au centre de l’histoire se trouve un couple, Adam et Eve, qui vont désobéir aux mots de Dieu et découvrir les maux de l’humain. Le premier de ces maux sera de se découvrir mortels. C’est là que quelque chose se brise dans l’harmonie première, mais finalement, n’est-ce pas salutaire pour que l’Histoire s’enclenche vraiment ? N’est-ce pas indispensable pour que l’humanité peuple vraiment le monde à l’Est d’Eden, se multipliant avec beaucoup de joies et beaucoup d’épreuves, dans une épopée de la fidélité et du pardon entre Dieu et son peuple ?
Les Actes, une deuxième création ?
Et voici que les cinq premiers chapitres des Actes des apôtres nous présentent à leur tour l’irruption du Souffle Saint, lors de la Pentecôte, dans le chaos d’un judaïsme dérangé par Jésus crucifié et le clan des apôtres, bouleversé par Jésus ressuscité. Le Saint-Esprit va structurer l’Église, qui devient un nouvel Eden, quelque peu idéalisé, au chapitre 4, avec cette Église où tout le monde vit en harmonie, partageant tout selon le désir de Dieu. Mais dès le chapitre suivant intervient un couple, Ananias et Saphira, qui vont désobéir au projet de Dieu en rompant l’alliance. La conséquence immédiate de cette désobéissance sera leur mort. Quelque chose est brisé, mais finalement, l’Église peut quitter l’Eden de Jérusalem pour se développer à l’Ouest, grandissant même parmi les païens sur des terres lointaines, dans un mélange de joies et d’épreuves, où la fidélité et le pardon deviendront le centre de la relation entre Dieu et son peuple.
Les Actes des apôtres sont donc assurément une sorte de « deuxième création », qui stimule notre compréhension des histoires communautaires : ne jetons-nous pas toujours sur les commencements un écheveau de paroles qui essayent de dire, l’immensité de la promesse première, l’harmonie qui s’ensuit, et aussi les ruptures qui nous humanisent. On peut désormais inscrire dans la durée une réalité qui jusque là était presque inhumaine tellement elle était parfaite. N’est-ce pas aussi le parcours de la naissance à l’enfance, puis de l’adolescence à l’âge adulte ? N’est-ce pas aussi une question pour nos mythes familiaux ou nationaux, au plein cœur de nos identités collectives ?
Au commencement, c’était bien, puis il y a eu des problèmes, mais depuis, on a retrouvé un équilibre… grâce à Dieu.
Article publié dans la Voix Protestante