Les usages de la loi
J’ai trouvé cet article tout à fait intéressant sur (à l’époque) :
http://www.epal.fr/cate/reperes/loi.htm#usages
Loi et Evangile constituent un couple de forces interactives et inséparables, à travers lesquelles s’accomplit le dessein de Dieu. Loi et Evangile sont les deux formes de l’unique Parole de Dieu.
Le concept de Loi posait aux Réformateurs un problème particulier, puisqu’ils faisaient de la justification par la foi seule le principe d’interprétation fondamental de l’Ecriture. La foi n’étant pas une oeuvre mais une relation, une acceptation de l’oeuvre de Dieu, comment serait-elle conciliable avec un concept de Loi, qui par essence désigne ce que les humains doivent faire ? C’est pourquoi la réflexion sur les liens entre la Loi, l’Evangile et la foi est particulièrement développée dans la tradition de la Réforme.
– Il y a consensus entre les Réformateurs pour insister sur le fait qu’il n’y a qu’une seule Parole de Dieu, qui se transmet aux humains par la Loi et par l’Evangile. Ces deux réalités se répartissent sur l’ensemble de la Bible, à la fois dans l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. D’un bout à l’autre de l’Ecriture, il est question de l’unique volonté de Dieu, de l’unique oeuvre du Dieu trinitaire. Le terme de Loi peut donc désigner, de manière totale, la volonté et l’oeuvre de Dieu dans son oeuvre créatrice, dans son oeuvre réconciliatrice et dans son oeuvre rédemptrice. Comment alors distinguer la Loi, qui condamne le péché de l’humain, de l’Evangile, qui libère ? C’est l’œuvre de l’Esprit Saint qui lève l’ambiguïté et fait d’une parole une Parole de vie. La loi, pour les Réformateurs, ne se confond pas avec les commandements. Ceux-ci selon Luther, s’appliquent à tous les humaines sans distinction, et font office de justice civile. Ce respect de la loi ne joue aucun rôle dans notre justification devant Dieu. Le concept théologique de “Loi” est plus vaste il a trait à la relation de foi entre l’humain et Dieu, où la parole de Dieu confond l’humain et le juge.
– Les Réformateurs ont défini la fonction de la Loi par rapport à l’Evangile à l’aide des “trois offices” ou “usages” :
– l’usage théologique : amener le pécheur à reconnaître son péché,
– l’usage politique : maintenir la discipline dans un monde soumis aux forces brutales dominant les humains,
– l’usage didactique : conduire les croyants sur le chemin de la sanctification.
a) L’usage théologique
L’oeuvre essentielle de la Loi (l’”usus theologicus”, “spiritualis”, “elenchticus”= dénonciateur) est de convaincre l’humain de son péché afin qu’il se tourne vers le pardon qui lui est offert en Christ. Cet usage de la Loi est avant tout pédagogique, puisqu’il ouvre la conscience à l’enseignement de l’Evangile et il “jette vers le Christ” (Luther). Luther affirme : “Il est de la nature de Dieu d’exalter les humbles, de nourrir les affamés, d’éclairer les aveugles, de consoler les misérables et les affligés ; de justifier les pécheurs, de donner la vie aux morts, de sauver ceux qui désespèrent et qui sont condamnés, etc (…) Il ne permet pas que ce fléau infiniment nuisible qu’est l’opinion de la propre justice s’empare de ce qui est son oeuvre naturelle et propre : cette opinion de la propre justice qui ne veut être ni pécheresse, ni impure, ni misérable et condamnée, mais juste, sainte, etc. Il faut donc que Dieu se serve de ce marteau : la loi, pour qu’elle rompe, brise, broie et réduise à néant cette bête sauvage et sa vaine assurance, sa sagesse, sa justice, son pouvoir, etc., pour qu’elle finisse par se reconnaître perdue et condamnée par son mal.” Calvin va dans le même sens : “En démonstrant la iustice de Dieu c’est-à-dire celle qui luy est agréable, elle (la Loi) admonneste un chacun de son iniustice, et l’en rend certain, iusques à l’en conveincre et condamner. Car il est que l’homme, lequel est autrement aveuglé et enyvré en l’amour de soymesme, soit contraint à cognoistre et confesser tant son imbécillité que son impureté.” La Loi enseigne à l’humain qu’il ne saurait vivre de ses propres forces ou de sa propre justification, en lui montrant le regard de Dieu sur lui : “La loi c’est donc, si l’on peut dire, la face de Dieu lorsque l’homme veut lui faire face, s’affirmer face à lui. Dans cette situation, la Loi lui enseigne que cette attitude est impossible, qu’elle mène à la mort.”
b) L’usage politique
Pour Calvin , cet usage est le second, destiné à ceux qui ont besoin de contraintes ou de menaces : “Le second office de la Loy est à ce que ceux qui ne se soucient de bien faire que par contrainte, en oyant les terribles menaces qui y sont contenues, pour le moins par crainte de punition, soyent retirez de leur meschanceté. Or ils en sont retirez non pas que leur coeur soit intérieurement esmeu ou touché, mais seulement ils sont estreints, comme d’une bride, pour ne point exécuter leurs mauvaises cupiditez, lesquelles autrement ils accompliroyent en licence desbordée.”
Pour Luther, qui distingue l’application de la Loi aux croyants et à tous les humains, cet usage est premier parce qu’il concerne tous les humains indépendamment de leur foi. “Le premier (usage) de la loi est l’office qu’elle a dans la cité. Dieu a dispensé les lois de la cité, bien plus toutes les lois, en vue de réprimer les transgressions. Toute loi a donc été promulguée en vue d’empêcher les péchés. Est-ce à dire qu’en réprimant les péchés, la loi justifie ? Rien moins que cela. Car si je ne tue pas, si je ne commets pas d’adultère, si je ne dérobe pas, si je m’abstiens d’autres péchés, ce n’est pas de bon gré que je le fais, ni par amour du bien : c’est que je crains le glaive et le bourreau.” 16 Pour les Réformateurs (cela apparaît notamment dans leur querelle contre les “enthousiastes”), les autorités familiales et politiques tiennent leur pouvoir de Dieu et sont en quelque sorte les garants de l’ordre du monde. Il était évident pour les théologiens de ce temps-là que toutes ces autorités temporelles (parents, éducateurs, magistrats, princes) sont appelées à se placer elles-mêmes sous la Parole de Dieu. Néanmoins, pour Luther l’usage politique de la Loi ne peut se baser complètement sur l’Evangile, car le monde politique et le règne de la prédication de l’Evangile sont distincts (quoique liés). Dieu gouverne le monde avec sa main gauche (celle de la justice et du glaive, celle de la Loi), et sauve ceux qui se confient en lui de sa main droite (celle de la justification par la foi, de l’Evangile). La gauche invite à se tourner vers la droite, mais la droite ne saurait se passer de la gauche.
Cette vision radicalement dialectique, qui ne laisse place à aucun “progrès” du croyant ou du monde, ne fut pas pleinement partagée par les autres Réformateurs.
c) L’usage didactique
Calvin, Zwingli, Mélanchton et Bucer s’accordèrent à reconnaître à la Loi un “troisième usage” (”tertius usus”, “usus didacticus”) que l’on trouve dans la Formule de Concorde : “3 : à apprendre aux hommes qui ont été régénérés et convertis par l’esprit de Dieu et auxquels le voile de Moïse a été ôté, à vivre et à se conduire selon la vraie piété “. Les croyants en cette vie ne sont pas renouvelés parfaitement, le vieil Adam contrôle encore leur être. “Le vieil Adam, en effet, semblable à un âne indompté et rétif, forme encore une partie d’eux-mêmes, qui doit être réduite à l’obéissance au Christ non seulement par les commandements, par les avertissements et les menaces de la Loi, mais encore, pour ainsi dire, par le fouet, par les châtiments et les coups, jusqu’à ce que l’homme soit entièrement délivré de cette chair de péché et parfaitement renouvelé, ce qui aura lieu à la résurrection.” Ces affirmations font rentrer le troisième usage de la Loi dans l’usage élenctique. Ces Réformateurs lui accordent toutefois une fonction plus positive : celle de permettre la “sanctification” duc royant, une vie de foi tournée vers Dieu et déjà marquée par la grâce.