A l’écoute des prophètes

Prédication donnée le 1er avril au temple du Foyer de l’Âme pour l’installation de Claude Baty comme président de la Fédération protestante de France, en présence du Maire de Paris et du Président du Sénat, notamment.

Esaïe 50:4-7
Le Seigneur, l’Éternel, m’a donné une langue exercée, Pour que je sache soutenir par la parole celui qui est abattu ; Il éveille, chaque matin, il éveille mon oreille, Pour que j’écoute comme écoutent des disciples. Le Seigneur, l’Éternel, m’a ouvert l’oreille, Et je n’ai point résisté, Je ne me suis point retiré en arrière. J’ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, Et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe; Je n’ai pas dérobé mon visage Aux ignominies et aux crachats. Mais le Seigneur, l’Éternel, m’a secouru ; C’est pourquoi je n’ai point été déshonoré, C’est pourquoi j’ai rendu mon visage semblable à un caillou, Sachant que je ne serais point confondu.

Philippiens 2:6-11
Jésus-Christ, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu,mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

Les Rameaux
Vous conviendrez qu’il n’est pas banal d’installer une structure d’autorité, fût-elle ecclésiale et collégiale, un dimanche des Rameaux. Parce que la joie de cette fête où nous nous souvenons de l’entrée de Jésus à Jérusalem est toujours ambiguë : nous savons que ces mêmes personnes qui acclamaient leur Messie en disant « Béni soit le Roi qui vient au nom du Seigneur », ces mêmes personnes seront toutes là, cinq jours plus tard, pour demander à l’unanimité que le même homme soit crucifié. Est-ce une destinée inévitable pour tous ceux qui sont élevés en autorité ? Quelle est cette loi étrange de la nature humaine et de la psychologie des foules qui fait que l’on prenne un tel plaisir à avilir soi-même ceux que l’on a élevés ? Y aurait-il un pouvoir des frustrés, qui, à défaut de pouvoir eux-mêmes exercer une autorité, peuvent toujours abîmer celles des autres par quelque coup bas ?

Un roi différent
Quoi qu’il en soit, celui qui entre en majesté dans Jérusalem n’est pas un chef comme les autres. Sa monture est précaire et l’armée qui le suit n’est composée que d’anciens boiteux, des balafrés de l’existences, de prostituées repenties, d’ex-collabos notoires… En somme, voilà une équipe de campagne essentiellement formée de bras cassés. Sauf que là c’est un choix. Oui c’est un choix, car le type de leadership que Jésus veut exercer n’est pas de la même nature que ceux auxquels nous aspirons ici-bas. Tout simplement parce que le Royaume sur lequel il règne n’est pas de ce monde.
C’est exactement là le nœud du problème. C’est ce quiproquo sur le type d’autorité qu’exerce Jésus qui va justement lui coûter la vie. Il ne veut pas régner pour dominer mais bien pour servir, et c’est parce qu’il est au service qu’en réalité il domine, pour qui sait voir le cœur des choses. Jésus refuse ces surenchères qui demeurent la tentation permanente des pouvoirs humains. Lui qui est l’égal de Dieu, il ne se sert pas de cela pour écraser, mais pour élever l’humain et « soutenir par la parole celui qui est abattu ».

Une théologie de la croix
Cette idée est désormais connue, méditée et assumée par les chrétiens, même si elle demeure et demeurera toujours de l’ordre du scandale ou de la folie. Celui qui règne sur le peuple chrétien est bien élevé, mais non sur un trône, il est élevé sur une croix.
Nous assumons cette idée. Nous l’assumons contre la société de la surabondance quand nous faisons l’éloge de la modération. Nous tenons ferme sur la nécessité du manque dans une société du trop plein. Nous disons qu’il est vital de ralentir contre cet univers de l’accélération permanente.
A la suite du Messie crucifié, nous avons pris le parti du faible quand il subit la force du fort. A la suite du Roi sur un ânon, nous choisissons la non-violence d’une armée qui ne porte pas d’armes. Les chrétiens ont donc décidé de marcher sur une route tracée par un maître qui n’a pas voulu maîtriser. C’est ce que nous appelons une théologie de la croix. Oui, la divinité de Dieu est visible par excellence le vendredi saint sur le mont Golgotha, dans le regard de ce roi qui meurt nu entre deux voleurs.

Dupliquer ou chercher ?
Ce chemin tracé a induit de nombreux choix pour nos Eglises, mais aussi pour notre éthique, ou pour nos positionnements politiques. C’est la voie de l’humilité et de l’abaissement.
Pour autant, il ne faudrait pas penser que la trajectoire impulsée par le Christ doive être une méthodologie qui aurait un caractère systématique pour guider l’ensemble de nos choix. Je veux dire que la stratégie de l’abaissement peut être aussi une stratégie d’échec, un mauvais choix dans de nombreuses circonstances, avec même, pourquoi pas, une certaine perversion. Si Jésus a choisi de ne pas résister, c’est simplement parce qu’à ce moment précis, telle était la consigne de Dieu pour lui : lâcher prise. Nous ne pouvons pas faire de cette expérience, bien qu’elle soit au centre de notre foi, une recette ou un procédé permanent. Car, si l’on prend cette posture de façon systématique, elle devient une incitation pour tous ceux qui nous entourent à nous cogner sans cesse. Allons-nous tirer quelque gloire que ce soit à être les punching-ball de service pour tous ceux qui auront assimilé que les chrétiens se taisent quand on les embête ? Taisons-nous seulement quand Dieu nous demande de nous taire, et ne prenons la parole que quand il nous le demande.

Le prophète parle, oui, mais il écoute surtout Dieu
L’enjeu est capital à cette heure où toutes les composantes du protestantisme se demandent dans quelle mesure nous exerçons encore un ministère prophétique pour l’Église et pour le monde. Nous sommes fiers d’avoir impulsé dans la société des innovations aussi diverses que la collégialité associative, l’apprentissage de la lecture pour tous, différents programmes d’éducation et de solidarité qui ont fait les riches heures de la Réforme et des siècles suivants. Nous sommes fiers de cette réputation quelque peu idéalisée et surfaite. Ces intuitions d’autrefois ont, pour la plupart, été intégrées par la société sécularisée. Mais aujourd’hui, y a-t-il encore un prophétisme courageux assumé au nom du Christ ? Ce que nous appelons prophétisme n’est souvent qu’une sorte de créativité sociale, une intelligence qui nous permet d’être relativement d’avant-garde. Mais le prophétisme se limite-t-il à un avant-gardisme social ? Il en fait pas partie mais ne se limite pas à cela. Et même sur ce terrain social, sommes-nous encore toujours d’avant-garde ? Certainement, mais disons que c’est très discret… Et la cause de ce retrait tient justement au fait que la théologie du retrait et de l’abaissement ait prévalu comme si elle était une formule obligatoire, un principe ou un axiome.
Le prophétisme consiste justement à ne pas dupliquer des attitudes stéréotypées, aussi humbles et pures soient-elles. Le prophétisme consiste à écouter la voix de Dieu pour pouvoir ajuster notre foi et nos actions sur la volonté de Dieu.
Dans l’histoire du peuple d’Israël, au sein d’une expérience aussi centrale que celle de l’exil à Babylone, il y a eu des moments où le Seigneur disait à son peuple d’accepter sa condition, et d’autres moments où il lui disait que le temps était venu d’en finir avec l’oppression.
C’est donc l’ajustement sur le temps de Dieu qui fait la pertinence du prophète. Ce n’est pas sa capacité à étayer des formules ou des systèmes de pensée.
Jésus ne s’y était pas trompé. Il s’est réjoui de l’accueil de ceux qui dressaient des palmes et déposaient leurs vêtements sur la route de Jérusalem, car c’était le temps de se réjouir. Même s’il savait très bien à quoi tout cela allait mener, d’une façon ou d’une autre. Savoir se réjouir au jour de la fête et savoir accepter au jour de la mort. Voilà la pertinence prophétique. Car ce n’est pas nous qui fixons les temps et les moments.

Se résigner ou résister
C’est donc l’écoute de la voix de Dieu qui peut seule nous permettre de trancher dans ce choix qui se présente presque chaque jour à nous : se résigner ou résister. Il n’y a pas une attitude qui soit bonne à toute occasion. Jésus a su résister quand c’était le temps de résister. Il a su se résigner quand c’était le temps d’accepter.
Nous sommes dubitatifs à l’égard de ces idéologies et des théologies d’outre-atlantique qui valorisent trop la gloire ou la puissance de Dieu. Et nous avons raison, car elles sont dangereuses si elles deviennent la voie unique.
Mais nous devrions certainement nous méfier, dans le même mouvement, d’un Evangile sentimentaliste de l’abaissement, qui n’a rien à voir avec le courage du Christ durant la semaine sainte, mais qui est souvent une lâcheté qui n’ose pas dire son nom. Plutôt que de dire les choses, nous rentrons en nous-mêmes et prions ? Plutôt que de nous opposer au déterminisme de l’inévitable, nous tendons l’autre joue, dans une utilisation assez étrange du texte biblique.

Un courageux service
Pourtant le Seigneur continue à parler à son peuple s’il veut bien l’écouter et surtout l’entendre. « Il nous a donné une parole aiguisée, pour que nous sachions soutenir ceux qui n’en peuvent plus ; chaque matin, il éveille nos oreilles, pour que nous écoutions comme des gens qui se laissent instruire. L’Éternel nous ouvre l’oreille, ne nous révoltons pas et ne nous dérobons pas. » Voilà le joyeux et courageux service qui nous attend, pour le service de nos contemporains et pour la plus grande gloire de Dieu seul.
Amen

Author: Gilles Boucomont

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