Qui est dangereux pour qui ?

Marc 13,9-13 :
9. « Mais vous, écoutez bien ce qui va vous arriver ! Des gens vous livreront aux tribunaux. On vous frappera dans les maisons de prière, on vous conduira devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi. Alors vous serez mes témoins devant eux.
10. En effet, il faut d’abord annoncer la Bonne Nouvelle à tous les peuples.
11. Et quand on vous emmènera pour vous juger, ne soyez pas inquiets d’avance en vous demandant : “Qu’est-ce que nous allons dire ? ” Vous direz les paroles que Dieu vous donnera à ce moment-là. En effet, ce n’est pas vous qui parlerez, mais c’est l’Esprit Saint.
12. Le frère livrera son frère pour qu’on le tue, le père fera la même chose avec son enfant. Les enfants deviendront les ennemis de leurs parents et ils les feront condamner à mort.
13. Tout le monde vous détestera à cause de moi, mais celui qui résistera jusqu’à la fin, Dieu le sauvera. »

Prédication

Au moment où Marc rédige son évangile, les chrétiens ont déjà commencé à avoir des problèmes. Ils proposent un type de vie qui est radicalement différent des autres propositions. Ce type de vie est suffisamment différent pour s’opposer au judaïsme dans sa forme de l’époque, parce que ce judaïsme s’était enfermé dans un type de religiosité qui lui faisait proposer de temps en temps de compromissions avec l’envahisseur romain. Ces Juifs convertis au Messie Jésus, ou ces païens de toutes origines, convertis encore plus à un Messie qu’ils n’attendaient même pas, se retrouvent dans une situation où ils sont en danger. Ils sont en danger parce qu’ils ne veulent pas se conformer au temps présent. Ils ne veulent pas se conformer à la pression du Temple et des prêtres, dont quelques histoires du Nouveau Testament nous font penser qu’elle était devenue plus économique qu’autre chose : il fallait d’abord acheter des animaux pour faire des sacrifices et entrer dans un système qui était devenu tout autre chose que ce que le Père avait prévu au commencement. Cela avait profondément agacé Jésus. Ils ne voulaient pas non plus se conformer à ce monde, à cette paix romaine, la Pax Romana, cette paix qui consistait finalement à rentrer dans un apparent respect universel de tous les dieux du bassin méditerranéen, puisqu’à chaque fois qu’un peuple était conquis, on rajoutait un temple à ce dieu du côté de Rome ; et comme ça César avait l’assurance d’être, au bout du compte, le seul à être vénéré, tandis qu’il laissait les peuples s’agiter devant leurs « dieux ».

Les chrétiens comprennent qu’il y a dans cette tolérance très militarisée quelque chose  qui ne convient pas. Quelque chose qui ne convient pas par rapport à ce que le Christ est venu apporter. Alors ces chrétiens vont être très rapidement en danger. C’est sûrement pour cela qu’un passage comme celui-ci dans l’évangile de Marc, et pour les lecteurs de Marc, va prendre une acuité très particulière. Parce que ceux qui adhèrent au message de Christ savent qu’ils prennent des risques. Pas simplement le risque de la foi comme nous l’évoquons dans nos sociétés relativement privilégiées, mais bien le risque… de leur vie. Ils risquent de devoir littéralement laisser leur vie pour avoir suivi le Christ. « Alors vous serez mes témoins » dit Jésus. Vous savez que ce mot témoin, dans la langue que Marc utilise, le grec, si nous le disons en français c’est mot martyre. Soyez mes témoins avec cette possibilité d’un prix à payer, qui est le prix du martyre. Voici donc une parole qui a été dite par le Christ et qui est entendue par ceux qui écoutent le témoignage de Marc comme quelque chose d’extrêmement présent, extrêmement actuel, parce qu’ils sont cette génération qui va prendre des risques et qui va permettre qu’à peine soixante ans plus tard la quasi totalité du bassin méditerranéen a entendu parler de Jésus-Christ ; et cela en refusant de prendre les armes, en refusant de s’opposer à ceux qui les battaient, qui les rouaient de coups, qu’ils soient dans les synagogues ou du côté des païens, notamment romains.

Ce sont des chrétiens en danger qui sont évoqués par avance dans cette parole prophétique de Christ.

Mais si nous regardons ce qui s’est passé dans ces années là, demandons-nous pourquoi ces chrétiens sont en danger ? Ils sont en danger parce qu’en réalité, ce sont eux qui sont vraiment dangereux. Ce sont eux qui sont puissamment dangereux pour les deux ordres établis que sont l’ordre du Temple et l’ordre de César. Ils sont puissamment dangereux parce que même sans porter les armes, même en refusant toute forme de violence, le message qu’ils portent et l’Esprit qui les habite sont en train de conquérir cette mer commune, la Mare Nostrum (notre mer) des romains. Ils sont en train de reconquérir tout l’empire romain… sans violence contre leurs opposants ! Ils sont équipés de la seule puissance de l’Esprit Saint.

Alors sont-ils des gens qui sont en danger, ou ne nous faudrait-il pas changer de regard à leur égard et les regarder comme des gens dangereux. Dangereux pour l’ordre établi et pour le prince de ce monde. Ce qui nous renvoie à nous-mêmes : si Jésus s’adressait sûrement aux chrétiens de son époque et à la génération qui suivrait, il s’adresse aussi à nous aujourd’hui. Es-tu à l’heure actuelle un chrétien en danger ? Sous nos latitudes, vraisemblablement pas. Mais le pendant de cela, c’est peut-être : « Es-tu un chrétien dangereux ? », dangereux pour certains ordres établis, dangereux pour ces puissances qui font que notre pays n’intervient pas en Syrie car nous vendons des armes qui arrivent en Syrie. Es-tu dangereux pour cela ? Non. Tu n’es pas en danger parce que tu n’es pas dangereux. Ah…

Puisque nous n’avons désormais même pas à être convoqués devant des tribunaux, nous n’avons même pas à répondre de notre foi devant des accusateurs religieux, les grands inquisiteurs de Mammon ou d’autres, la question pourrait se poser à nous comme cela : « N’est-il pas l’heure de nous inquiéter de ne pas avoir à être redevables ? », simplement parce que nous ne sommes pas dangereux ; nous sommes profondément gentils, profondément convenables, profondément conventionnels et fréquentables, y compris par les vendeurs d’armes. Parce que notre foi s’est quelque peu desséchée.

De la même façon que le Christ disait dans ces moments difficiles de faire appel au Saint-Esprit : « Lui parlera, ne parlez qu’en vous laissant traverser par sa parole ». N’essayons pas de raisonner selon nos principes philosophiques, théologiques, anthropologiques, humains. N’essayons pas de raisonner avec nos armes. Nos armes nous mettront forcément dans une situation où nous choisirons une violence qui est finalement une violence du monde et de la chair. Ne choisissons que les armes de l’Esprit.

Alors pour nous qui ne sommes ni en danger ni dangereux, peut-être que le Christ dit : « Comptez plus sur l’Esprit Saint », allez chercher plus de cet Esprit, parce que si sa puissance augmente en vous, alors vous allez commencer à changer le monde. Et si vous commencez véritablement à changer le monde, que ce soit dans le calme de votre prière personnelle ou dans des engagements d’un autre ordre, à ce moment-là, vous serez sûrement en danger, parce que vous serez dangereux.

Christ est venu renverser les puissances. Il est venu manifester ce que d’autres avaient déjà chanté, à savoir l’abaissement des forts et l’élévation des faibles. Christ est une puissance de Dieu, puissance pour la restauration, le renouvellement et la recréation du monde. Alors que le Saint-Esprit nous permette d’être à notre tour dangereux (et peut-être en danger), témoins (peut-être martyrs), mais habités de la puissance de l’Esprit-Saint.

Author: Gilles Boucomont

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